J'aime bien défendre les journalistes authentiques contre les amateurs, c'est mon côté corporatiste. Mais j'ai peut-être tort.
Etienne Mougeotte est le nouveau patron de la rédaction du Figaro. L'ancien vice-président de TF1 était le candidat idéal à la succession de Nicolas Beytout : la manière dont il a défendu, avec pugnacité, des années durant, l'indépendance éditoriale de sa chaîne contre les pressions du Pouvoir est en effet la meilleure garantie de la préservation de la tradition iconoclaste du grand journal libéral...
Et en plus, la presse quotidienne, il connaît bien. Interrogé ce matin sur France Culture sur les coûts de distribution des journaux et leur impact sur un prix de vente bien trop élevé, il a bredouillé : « Heu, c’est dans les 30%, je crois, ou peut-être 40%... » De fait, il n’était pas si loin de la vérité, puisque la moyenne est à 36%. Mais il s’est empressé de préciser que ces tarifs, même s'il ne les connaissait pas, étaient totalement justifiés par la qualité de la prestation des NMPP, refusant de laisser son interlocuteur l’entraîner en terrain trop glissant. Charitable, l’animateur des « Matins », Ali Baddou, a d’ailleurs cessé de le titiller, rappelant que Laurent Joffrin avait carrément refusé d’évoquer les NMPP dans l’émission « de peur de ne pas voir paraître Libération le lendemain ».
Pour autant, c’est sur les chiffres de ventes qu’Etienne Mougeotte s’est révélé le plus puissamment informé. A un Ali Baddou estimant la totalité des achats de quotidiens français à quelque « 500 000 exemplaires », le boss d’un journal dont l’OJD atteste qu’il diffuse lui-même 342 000 exemplaires payants (pour un tirage de 430 000) a répondu « Heu, non, c’est plus que ça, c’est dans les millions quand même, hein, avec la presse régionale je crois... »
Effectivement, c’est bien dans « les millions ». La presse quotidienne française a beau être à la ramasse, elle diffuse encore près de 2 millions d’exemplaires pour les quotidiens nationaux et un peu plus de 6 millions pour les régionaux. Hum, Mougeotte va devoir apprendre à jeter un coup d’œil aux chiffres de l’OJD, l’audimat de la presse papier, s’il veut convaincre que sa nomination est autre chose que l’ultime récompense du grognard en bout de course.
*
Quelques semaines après Libé, c’est Le Monde qui s’y colle ! La France est menacée par la crise des « subprime », même si elle ne le sait pas encore... Sous un titre de Une alarmiste (« Immobilier : il y a aussi des risques en France ») et un chapeau effrayant (« Crise : l’évolution des taux variables met en difficulté des dizaines de milliers de ménages »), le journal tente de nous convaincre de l’imminence de la fin du monde US style.
L’article qui suit nous dit surtout que c’est en Grande-Bretagne, où des prêts à taux variables ont été distribués à des emprunteurs non-solvables et où 1,4 millions de ménages devraient faire face à une augmentation massive de leurs échéances, que l'on joue les Américains. Car en ce qui concerne la France, le soufflé retombe dès le quatrième paragraphe : en tout et pour tout, 600 dossiers on été recueillis par l’AFUB, l’association de consommateurs recensant les emprunteurs se plaignant de la hausse des taux. Et pour cause, l’immense majorité (80%) des prêts immobiliers est à taux fixe dans notre pays, éliminant tout risque de fluctuation pour le souscripteur. Quant aux prêts à taux variables, ils sont normalement équipés d’une limite maximale à la hausse (prêts « capés ») ou permettent de prolonger la durée du prêt en contrepartie de traites constantes.
Le risque d’une « déstabilisation » des finances de centaines de milliers de ménages est donc quasi-nul, même s’il arrive, hausse des taux ou pas, que des emprunteurs rencontrent des difficultés sur vingt années de remboursements. Dans un second article consacré à cette terrible tragédie en pages intérieures, et sous le titre « Les emprunteurs français fragilisés », le premier paragraphe vient justement vider les dix suivants de leur substance en indiquant : « Les règles très protectrices des consommateurs excluent une crise comparable à celles que connaissent les Etats-Unis et le Royaume-Uni ».
A l’inverse du dossier de Libé, le contenu des articles du Monde évite toutefois l’écueil de l’idéologie, au sens où le premier affichait clairement un point de vue sur la faillite morale (suivie d'une faillite tout court) que représente la propriété immobilière. Non, Le Monde, sur ce coup, est plutôt dans le papier-prétexte et la stimulation des ventes par un titre racoleur. Mais nos deux confrères apportent surtout leur contribution à l’essoufflement de l’une des rares filières économiques encore dynamiques en France et, surtout, confortent les établissements bancaires dans leur frilosité légendaire : « En attendant, les banques se montrent beaucoup plus parcimonieuses dans l’octroi de nouveaux crédits. (...) de même, presque plus personne n’accorde de crédits sans apport et sur plus de trente ans ».
En d’autres termes, et en raison d’abus anglo-américains sans impact sur une situation française radicalement différente (les Français ont l’un des taux d’épargne les plus élevés du monde, l’un des niveaux d’encours de prêts à la consommation les plus bas, et empruntent massivement à taux fixes) nos banques se recentreront sur leurs « bons risques » traditionnels (couple de fonctionnaires disposant d’un apport de 30% et empruntant sur 15 ans), renvoyant le reste de la population à ses chères études au moment de la demande d’un prêt. Non mais des fois !
© Commentaires & vaticinations
Amusant. L'interview de Mougeotte me fait irrépressiblement penser au passage du débat Ségo-Sarko sur la part du nucléaire dans notre production d'électricité.
L'analogie confirme d'ailleurs que Mougeotte est bien Sarkozyste. Comme lui, il a une idée plus ou moins vague des ordres de grandeurs mais n'est pas complètement sur de lui. S'il était ségoléniste, il aurait affirmé péremptoirement que les coûts de distribution font 72% et que le diffusion s'établit à 337 000.
Plus sérieusement et s'agissant des subprimes, ça fait quand même assez longtemps que des analyses compétentes ont été publiées pour qu'on puisse raisonneblement espérer ne plus voir de tels tissus d'ânerie dans des journaux honorables. Pour les raisons que tu expliques bien, une crise type sub-primes ne peut pas se produire en France. Il n'y a pas de prêts à taux variables, il n'y a pas de prêts sans apport, on ne prête pas aux gens qui n'ont pas de revenus suffisants.
Mais ce n'est pas pour autant que la crise des sub-primes US n'a pas d'impact chez nous. En 2 mots, les banques françaises ont investi dans du subprime comme tout le monde, ça leur pète à la gueule comme tout le monde. Et pour respecter leurs ratios prudentiels, elles sont contraintes de réduire les montants qu'elles prêtent.
Le "credit crunch" Français n'est pas une mesure pour éviter une crise des sub-primes en France; il est l'effet de l'onde de choc de la cirse des subprimes US.
Rédigé par : Liberal | jeudi 06 décembre 2007 à 14:44
Liberal,
Non, Ségolène aurait répondu 36% pour les coûts de distribution en rappelant qu'il était essentiel de revoir la structure de coûts de la filière, en y introduisant davantage de concurrence et remettant à plat les systèmes d'aide à la presse.
Elle aurait ensuite expliqué que la totalité de la presse quotidienne (régionale et nationale) diffuse 8 millions d'exemplaires et que c'est insuffisant. Mais elle aurait refusé d'entrer en tant que politique dans la problématique d'entreprises de presse indépendantes.
Hé hé.
Autrement, les banques peuvent et vont subir le contrecoup de leurs investissements aux Etats-Unis, dans le cadre de la titrisation des dettes pourries, Ok. Tout à fait d'accord.
Mais ce dont Libé et Le Monde parlent n'a rien à voir avec ça, puisqu'il s'agit de prétendre que des paramètres inconnus ici vont jeter les gens à la rue. Par contre, ce discours grotesque peut servir d'écran de fumée aux établissements bancaires qui ont besoin de souffler.
Mais celui qui perd, c'est tout de même le gars qui espérait emprunter malgré son profil trop rock'n'roll pour une Société Générale et en dépit de sa capacité de remboursement tout à fait gérable, mais que l'on enverra paitre...
Rédigé par : Hugues | jeudi 06 décembre 2007 à 15:02
Oui, tu as tout à fait raison.
Sur la 2e partie de ta réponse, bien sur.
Héhé.
Rédigé par : Liberal | jeudi 06 décembre 2007 à 16:54
C'est en Espagne que 98 % des prêts sont à taux variable
http://www.lefigaro.fr/immobilier/20070906.FIG000000077_de_plus_en_plus_d_espagnols_peinent_a_rembourser_leurs_credits_immobiliers.html
L'immobilier fait une bonne partie de PIB en Espagne, la banque et la finance participent pour 50% du PIB en GB. L'un et l'autre vont souffrir du credit crunch (à ce sujet la perfide BoE vient de baisser son taux directeur)
Rédigé par : all | jeudi 06 décembre 2007 à 16:58
"la meilleure garantie de la préservation de la tradition iconoclaste du grand journal libéral..."
Le Figaro, liberal? c'est nouveau.
Rédigé par : Antipatros | jeudi 06 décembre 2007 à 20:00
Antipatros, je ne veux pas passer pour un cuistre mais je crois bien qu'il s'agit d'une entrée en matière ironique. Le Figaro n'est ni iconoclaste ni libéral et notre hôte le sait bien.
Rédigé par : Gilles | vendredi 07 décembre 2007 à 09:42
Il m'est toujours aussi difficile de rester calme face à la position de Hughes célébrant la chance immense qu'ont des centaines de milliers de ménages français de s'être engagées sur 25 ou 30 ans à payer le tiers de leur revenu, mais bien plus de leur revenue réellement disponible une fois retirer les charges diverses, et qui ne vont cesser d'augmenter, tout cela pour un appartement aujourd'hui ric-rac en surface, demain qui les condamnera à renoncer à agrandir la famille, et dont ils découvriront au bout de 30 ans le besoin impératif d'une rénovation lourde et couteuse qui va gréver le capital soit-disant accumulé.
Bref, les prêts libéralement accordés par les banques n'ont eu *aucune* conséquence autre que de permettre une envolée des prix conduisant à surpayer horriblement les logements par rapport à leur valeur véritable, et non pas comme Hughes s'obstine à vouloir le croire à ouvrir le bonheur d'être propriétaire à une catégorie injustement rejetée avant.
Rédigé par : jmdesp | vendredi 07 décembre 2007 à 16:48
Jmdesp,
Intéressante illustration de la préférence pour un patrimoine restant aux mains des mêmes de toute éternité. Si un ménage moyen n'investit pas dans son logement, il faut bien qu'il le loue à quelqu’un. (l'on n'imagine pas que tu souhaites la collectivisation de l'ensemble du parc immobilier -- si ?). Du coup, il faut qu'il le loue à un possédant qui en améliorera, lui, ses revenus et consolidera son patrimoine.
Le crédit est justement le moyen de parvenir à créer un patrimoine susceptible d'être transmis et, éventuellement, d'être réalisé avec de très fortes chances d'appréciation compte tenu de la durée de détention.
Je ne sais pas si nous vivons sur la même planète, mais ton couple n'ayant pas eu d'enfant à cause de leur appartement acheté trop petit (qu'il le vende et achète plus grand), dont les remboursements continuent de représenter le tiers de ses revenus pendant 30 ans et dont les charges d'entretien équivalent à l'investissement initial ne doit pas être un profil très courant.
Cela dit, il est intéressant de lire cette réaction idéologique sous une note expliquant que l'alerte aux « subprime » en France est une ânerie...
Rédigé par : Hugues | mercredi 12 décembre 2007 à 09:24
Donc le choix est entre l'endettement sur trente ans et le goulag ? toujours aussi subtil, et respectueux des paroles de l'interlocuteur. Renoncer à agrandir la famille, ce n'est pas forcément ne pas avoir d'enfants. Un "capital" grevé de lourdes et couteuses charges de réparation, ce n'est pas un investissement équivalent au charges d'entetien.
Quant au cas décrit, à quelques nuances près, j'en ai plein ma famille, mes voisns, collègues… et pas que des smicards. Effectivement nous ne vivons pas sur la même planète, ou disons dans le même monde.
jmdesp : on peut ajouter que ces endettés craindront 30 ans durant le chômage plus que la mort, accepteront toutes les heures sup, et que leur découvert nourrira la même banque créancière par ailleurs. L'endettement est aussi un puisant facteur de soumission.
Rédigé par : Cobab | mercredi 12 décembre 2007 à 22:38
Ceux qui s'inquiètent de ces pauvres familles endettées sur 30 et qui payent à vie 30 % de leur revenu, devraient quand même s'intéresser à l'inflation. Même si celle-ci n'est que de 3 % par an, à la fin de leur prêt, ces "maudits" ne payeront plus que 12 % de leur revenu de maintenant.
En intégrant l'augmentation du pouvoir d'achat (2 % par an), ils arrivent à moins de 7 %.
Je serais très étonné qu'en 2030, ceux qui seront restés locataires, n'aient pas un loyer égal à 20 % de leur revenu (comme en 2005).
Rédigé par : henriparisien | mercredi 19 décembre 2007 à 13:52