Je viens de terminer le rapport Camdessus qui, somme toute, se lit comme une sorte de gros article en dépit de ses 160 pages théoriques (marges immenses, généreux saupoudrage de pages blanches…). Pas de surprise majeure, les articles et analyses glanés ici et là depuis sa parution m’ayant déjà préparé à son contenu.
Mais avant de développer mon sentiment sur ce document ou sur les propositions du rapporteur, j’ai besoin d’établir ce préalable : je me suis ouvert à la politique par la gauche, voire l’extrême gauche, au début des années 80. Pour comprendre le contexte, ce qui n’est sans doute pas évident pour quelqu’un de plus jeune que moi (ou de moins sensibilisé à la chose politique – je n’ai toute de même « que » 40 ans), être de gauche, dans ma « cosmogonie », consistait à accepter tout un corpus idéologique sans trop se poser de questions.
Certaines choses allaient tout simplement de soi, qu’il s’agisse de l’hostilité au nucléaire (je me souviens d’être allé faire le coup de poing contre l’ouverture de la centrale de Chooz, dans les Ardennes, déguisé en autonome) ou de la sympathie pour Castro. Je me souviens aussi de ma bienveillance à l’égard des SS20 (ces fameux missiles russes bien moins menaçants que les Pershing US) ou de mon enthousiasme pour tout un tas de causes improbables mais clairement estampillées comme « étant de gauche » (le juge Jacques Bidalou, ça vous dit quelque chose ? Non. Pas grave, vraiment pas grave…).
A l’époque, la droite commençait au PS et Giscard était carrément d’extrême droite. On ne parlait pas encore du libéralisme mais on luttait plutôt contre les 200 familles auxquelles nous identifiions n’importe quel individu aux revenus supérieurs à celui d’un enseignant du secondaire.
Je caricature ? A peine. Attention, je ne crois pas, à l’époque, avoir été particulièrement stupide ou inconséquent. Juste le produit de mon milieu. Mais je n’étais pas pour autant une sorte de Lacombe Lucien ballotté par les événements, dont les engagements n’auraient été dictés que par le suivisme et la naïveté. J’étais, je crois, raisonnablement intelligent et mes choix étaient indiscutablement liés à ma perception réelle de la justice et du droit. Quant aux valeurs de base qui sous-tendaient mes engagements (anti-racisme, refus des discriminations, solidarité avec le tiers-monde…), elles constituent encore le socle de ma vision du monde.
Mais voilà, j’ai changé. Je ne suis plus le même. J’ai mûri, quoi… Classique, hein, ce parcours de la gauche généreuse vers la droite égoïste ? Je revendique pourtant d’être resté totalement de gauche, mon éloignement progressif du corpus étant le fruit d’une réflexion parfaitement « argumentable » (et d’ailleurs régulièrement argumentée au grand dam de mon entourage). Disons seulement que, dans
n’importe quel pays du monde, mes points de vue seraient généralement considérés comme tout à fait acceptables pour le détenteur d’une carte frappée du poing à la rose mais qu’en France où, après la disparition inexorable de Rocard et des siens et la « mélenchonisation » de Fabius, je suis tout simplement devenu cette chose honnie : un « ultra-libéral ».
Effectivement, mes références d’aujourd’hui (les sociaux-démocrates scandinaves, le New Labour, Rocard, DSK, etc. pour aller vite), font évidemment de moi un « social-traitre » à l’ancienne, vendu au grand capital et prêt à sacrifier les intérêts de la classe ouvrière au profit d'une mondialisation débridée.
J’assume.
Mais pour en revenir au rapport et à ses propositions, le fait qu’il ait été commandité par Sarkozy ne me fait ni chaud ni froid. Le fait que Libé le dénonce comme une « compil » du « réformisme conservateur » ou que l’Huma conspue ce « florilège utra-libéral » ne me fait même pas réagir.
Dans l’ensemble, ce rapport honnête, réalisé sous le contrôle de personnalités aussi susceptibles de vouloir égorger les ouvriers dans leur sommeil que Louis Gallois, Olivier Blanchard, Martin Hirsch (Emmaüs) ou Christian Larose (membre CGT du Conseil économique et social), ne fait qu’établir un constat ancien et formuler des propositions standards, pour la plupart empruntées au modèle nordique.
De fait, et je viens de ressortir mon exemplaire de « La Flamme et la cendre », le livre-programme de Strauss-Kahn (et d’ailleurs l’un des seuls bouquins d’homme politique doté d’un minimum de substance), je ne vois vraiment rien dans ce « brûlot ultra-libéral » qui puisse faire sortir un DSK de ses gonds.
Que la France soit dans une situation inquiétante, qui ne sera certainement pas corrigée par le recrutement de fonctionnaires ou une nouvelle réduction du temps de travail, est une évidence qui devrait s’imposer. Pour autant, et pour reprendre les termes de l’édito du Monde d’hier sur Camdessus, la « France préfère généralement les paroles aux actes ». Nous attendrons donc patiemment le prochain rapport Tartempion, qui après les rapports Minc, Boissonnat et consorts, ne manquera pas de rejoindre celui de l’ancien boss du FMI dans les oubliettes de l’Histoire.
©Commentaires & vaticinations
C'est marrant, itinéraire miroir, en plus rapide, pour moi. Eduqué dans un univers de droite, je me fais traiter de quasi-communiste par les "vrais" libéraux ou de dangereux libertarien par les conservateurs...
Sur camdessus, je partage. Mais ne partira pas complètement dans les oubliettes : regarde, en parlant du rapport, on ressort celui de Minc, comme repoussoir, en disant qu'il a déjà été foutu à la poubelle. Désespérant.
Rédigé par : versac | vendredi 22 octobre 2004 à 10:46
Je découvre votre blog via un ami qui suit celui de versac, et je suis enthousiaste à la lecture de ce billet (ainsi que d'autres). Enfin un homme de gauche qui a du discernement ! (je plaisante, j'en ai déjà vu d'autres ;-) Vous traduisez une bonne partie de ma pensée, et y ajoutez quelques expressions assez amusantes ma foi.
Ne pouvant paraphraser ce qui est déjà bien écrit et craignant d'appauvrir le style, je pense que je vais donner l'URL lors de discussions avec le genre de personne qui utilise le mot "ultra-libéral" à tort et à travers.
Puisque je vous "tiens", que pensez-vous de ceux qui, comme Fabius, parlent de l'absence de social dans la future constitution européenne ? Mon avis est que cela n'a pas de sens car une constitution n'a pas à être sociale ou libérale, ce n'est qu'une constitution; ce sont les gouvernements ensuite qui décident d'appliquer une politique. Y a-t-il du "social" dans la constitution française ? Il suffit de constater que notre constitution permet tout aussi bien une politique très sociale comme très libérale, pour se rendre compte du hors-sujet de Fabius.
Rédigé par : Olivier J | mercredi 27 octobre 2004 à 13:51
versac, pourquoi ne pas se retrouver au centre ?
partant de la gauche moi aussi, je suis plutot centriste avec l'ami bayrou :)
non serieux, on a tendance a oublier le centre en france.
Rédigé par : | samedi 30 octobre 2004 à 18:36
Cher inconnu, je suis sûrement plutôt centriste, et surtout, je crois que de nombreux aspects du clivage gauche-droite sont dépassés, ou en tout cas qu'il n'aide pas à créer les clivages au bon endroit.
Olivier : pour mettre un terme au débat sur la constitution, un excellent article de Marc-Olivier Padis dans la revue Esprit :
http://www.esprit.presse.fr/actualite/detail.cfm?id_information=56
Il rompt avec les mythes de "l'Europe sociale", qui sont plutôt un problème de répartition des compétences entre les Etats et l'Union. Si nous voulons préserver le "modèle français", il faut bien laisser celà au niveau des Etats.
Rédigé par : versac | samedi 30 octobre 2004 à 19:13