Le sémillant Laurent a décidé de prendre la tête des réfractaires à la constitution européenne au sein du PS. Mais à quoi ressemblerait une victoire du Non selon son cœur ? Un peu de prospective.
Et si Fabius avait raison ? Et si Mélenchon, Peillon et les autres étaient dans le vrai ? Et si Besancenot, Arlette et Gluckstein pointaient effectivement dans la bonne direction ? J’ai décidé de me poser la question avec sincérité, tenant compte de leurs arguments les plus valides au sujet de la ratification du Traité constitutionnel.
Les conventionnels réunis autour de Giscard étant, à l’évidence, un petit comité de ploutocrates ultra-libéraux visant la remise en question de l’ensemble des acquis sociaux européens (et servant en cela les intérêts du grand capital), il ne saurait être question de voter pour leur texte ; il est donc essentiel de dire « non ».
Mais attention, il ne s’agit pas de voter contre la Constitution en mélangeant nos voix à celles des souverainistes et autres nationalistes, qu’ils soient proches de Le Pen, de Pasqua ou des conservateurs britanniques. Bien au contraire. Notre « non » doit être celui d’une vision progressiste de l’Europe – à mille lieues de la dérive droitière des sociaux-démocrates, ces faux-nez du capitalisme triomphant. En votant « non », nous forcerons les électeurs de gauche à travers le reste de l’Union à exiger de leurs partis une réévaluation de la position française. « La France est le pays de la Révolution, des Droits de l’Homme et de la SNCF, hurleront-ils sous les fenêtres des New Labour et autres SPD. Son mouvement social et son progressisme ontologique sont seuls capables de construire une Europe prospère et dynamique où les aspirations de chacun sont respectées et défendues. Ils doivent inspirer notre action ! ».
Interpellés dans leur tréfonds, les leaders des partis frères devront rapidement se rendre à l’évidence et entériner le fait que le résultat du référendum français, ce « non » massivement positif, peut devenir la dynamique d’un nouveau processus de construction européenne. Bien entendu, un Tony Blair ne sera probablement jamais en mesure de reconnaître ses fautes et devra être rapidement remplacé par un leader travailliste plus en phase avec le mouvement. Arthur Scargill, ancien champion de la cause des mineurs britanniques sera d’ailleurs sans doute perçu comme l’homme le plus à même de remettre le Labour sur le droit chemin. L'affreux Tony devra cependant être autorisé à faire usage du passeport américain qu’il détient secrètement pour fuir le pays (hopefully, il ne sera pas stoppé à Varennes).
Schröder, lui, pourra sans doute poursuivre sa tâche, à condition bien sûr de revenir sur les terribles réformes mises en œuvre dans son pays au cours des derniers mois.
Une fois la Constitution Giscard renvoyée aux Calendes, au grand dam de Georges Bush, d’Alain Madelin, de Le Pen et de Jean-Paul II (pris à leur propre piège), les progressistes de tous les pays dépêcheront des délégués à Paris afin de préparer les étapes suivantes de la transformation. La rénovation du Jeu de Paume venant d’être achevée, ils choisiront probablement ce lieu symbolique pour se réunir afin d’imposer certaines mesures d’urgence, qu’il s’agisse de la dissolution de la zone euro (facteur d’inflation, de récession et de soumission aux gnomes de Francfort), de la rupture des relations diplomatiques avec les Etats-Unis (une mesure évidemment temporaire, liée au choix d’un président plus acceptable d’un point de vue humaniste), ou de la sortie de l’ensemble des institutions de Bretton-Woods (inféodées aux intérêts des trusts).
Un nouveau traité, plus en phase avec la réalité des désirs des peuples européens, sera alors rédigé dans l’enthousiasme populaire et consacrera la fin du chômage (par l’interdiction totale et définitive des licenciements complétée par l’embauche de tous les demandeurs d’emploi par les gouvernements et les organismes de service public), la paix dans le monde (par l’envoi immédiat d’émissaires de bonne volonté sur tous les points chauds de la planète) et l’arrêt du réchauffement de la planète (via le bannissement des 4X4).
Bien entendu, un homme comme Fabius, ancien premier ministre et donc conscient de ce qu’il faut bien appeler le « principe de réalité », saura freiner les ardeurs des délégués les plus inspirés en expliquant que la maladie et le mauvais temps ne peuvent être abolis aussi rapidement, une commission ad-hoc devant d’abord évaluer la faisabilité de ces projets – néanmoins prioritaires.
Le probable futur président de la future UERSTMEFSDD (Union des Etats Relativement Souverains mais Fédéraux Tout de Même de l’Europe Fraternelle Solidaire pour un Développement Durable) saura toutefois suggérer des moyens d’action forçant les "pays émergents" à adopter rapidement des systèmes sociaux identiques aux nôtres pour éliminer ces facteurs de concurrence si déstabilisants pour nos économies. La Chine, l’Indonésie, la Thaïlande, ne tarderont d’ailleurs pas à se rendre à l’évidence, en dépit de quelques grognements de pure forme…
Chirac, chassé de l’Elysée par une foule en colère (et néanmoins bon enfant), sera remplacé par un Comité de Salut Public regroupant la plupart des organisations représentatives de la volonté du peuple (représentativité fondée sur les résultats du scrutin du 21 avril 2002, permettant d’éviter une dangereuse hégémonie du PS, toujours susceptible de retomber dans ses errements traditionnels).
La France pourra alors reprendre le rôle qui lui revient de droit, celui de phare du développement humain, entraînant ses partenaires européens dans une nouvelle Renaissance et ralliant à sa cause, ultimement, la quasi-totalité de la planète et la dizaine d’Etats américains ayant décidé de rompre avec Washington pour rejoindre l’UERSTMEFSDD.
Votez « non » !
© Commentaires & vaticinations
As tu lu l'analyse de Luc Ferry dans Le monde :
Le "non" serait une colossale erreur, par Luc Ferry
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-383845,0.html
C'est ce que j'ai lu de mieux sur la Turquie et indirectement, la constitution.
Rédigé par : fabrice | mercredi 10 novembre 2004 à 15:06
"J’ai décidé de me poser la question avec sincérité". C'est pas beau de mentir. Ou alors, tu n'as pas beaucoup de suivi dans tes décisions :-).
Rédigé par : Paxatagore | mercredi 10 novembre 2004 à 19:26
Sincérité ? Tu me prends pour un homme politique ?
Rédigé par : Hugues | mercredi 10 novembre 2004 à 19:46
Hugues,
ton commentaire vient d'être rétabli sur blogdsk.net
J'avais supprimé l'option commentaires sur ce post pour faire une démo à un apprenti webmaster. Tu étais passé à la trappe sans que je puisse retrouver ton texte, désolé,
Thomas
Rédigé par : Thomas (Equipe DSK) | jeudi 11 novembre 2004 à 18:20
J'ai toujours pensé que la mauvaise foi était un art, et je vois que tu le pratiques à merveille.
Ceci dit, sur le fond, et puisque l'on parle de DSK, je dois admettre qu'il m'a pas mal déçu :
1) en appelant à voter Chirac avec une précipitation ridicule au 2eme tour des présidentielles
2) en se fendant d'un plaidoyer super bobo pour le mariage gay (j'habite dans le marais) alors qu'il y a franchement des sujets plus importants
3) je souhaite qu'il se rattrape - je suis pas vindicatif
Rédigé par : Marc | jeudi 11 novembre 2004 à 19:06
Marc,
Désolé, mais nous ne sommes pas exactement sur la même longueur d'onde.
En ce qui concerne l'appel à voter Chirac au second tour de 2002, il me semble qu'il n'y avait pas d'autre solution : DSK s'est donc comporté de manière responsable sur ce coup.
D'ailleurs, je n'avais pas besoin d'une consigne puisqu'il s'agissait surtout de limiter la casse en mettant Le Pen sur le plus petit score possible.
En outre, il s'avère que d'autres gens de gauche avaient déjà eu à faire la même chose à plusieurs reprises, bien avant le 21 avril. J'habite Paris mais je suis originaire de Marseille. Là-bas, dans certains arrondissements et pour la plupart des scrutins locaux, voter pour le candidat de droite le mieux placé est une obligation lorsque le FN, généralement second, est en passe de l'emporter. Mais à chacun sa vision des choses.
Sur le mariage homo, je veux bien qu'il ne s'agisse pas d'une priorité face à la faim dans le monde, le sida et le réchauffement de la planète... Mais, alors qu'est ce qu'une priorité et pour qui ? Tous les homos ne sont pas des bobos et si certains d'entre eux aspirent à se marier, je ne vois pas pourquoi il faudrait leur refuser ce droit avant d'avoir résolu d'autres problèmes "plus prioritaires".
Dans une démocratie complexe, on doit quand même être en mesure de s'occuper de plusieurs problèmes à la fois.
Rédigé par : Hugues | jeudi 11 novembre 2004 à 19:45
"D'ailleurs, je n'avais pas besoin d'une consigne puisqu'il s'agissait surtout de limiter la casse en mettant Le Pen sur le plus petit score possible"
seul le resultat final importait: il a ete battu,
pourquoi cette idee fixe chez beaucoup a minimiser
ce score ?
Rédigé par : Tof | jeudi 11 novembre 2004 à 20:19
Pourquoi cette "idée fixe" ? Un tas de raisons. D'abord le symbole : un second tour relativement serré, type abstention record à gauche et mobilisation importante au FN, se terminant sur un Le Pen à 40 ou 45%, permettait à l'extrême-droite d'être légitimée comme alternative du point de vue des électeurs "à la marge" (soit les gens qui ont voté au moins une fois Le Pen ou ne l'avaient pas encore fait parce qu'ils trouvaient ça trop gonflé).
Ensuite, le risque : sans vouloir dramatiser (mais il me semble qu'un second tour Le Pen / Chirac est effectivement une situation assez dramatique), l'extrême-droite arrive généralement au pouvoir par les urnes. En imaginant le pire (démobilisation à gauche, luttes internes à la droite...) : le Pen est élu. Impossible ? Et l'élimination de Jospin, elle était possible ? Et une Italie gouvernée par Berlusconi / Bossi, c'était possible ? Et Chirac élu puis réélu, c'était possible ?
Mais il fallait aussi pouvoir "se compter". Pas uniquement à gauche mais de manière massive, démocratique. Je crois que c'était important.
Rédigé par : Hugues | jeudi 11 novembre 2004 à 22:42
Je ne m'en étais pas rendu compte, mais il semble que mon appel à béatifier Fabius soit parfois compris de travers par certains lecteurs. Ca me rappelle (toutes choses égales par ailleurs, je ne suis pas si prétentieux), ce sketch de Bedos (Vacances à Marrakech), adoré par les racistes de tout poil qui avaient tendance à l'entendre au premier degré.
Juste pour le fun, j'ai trouvé ça sur le Web à ce sujet :
Guy Bedos, extrait d'interview
"C'est [...] en me souvenant de ce que j'avais entendu, depuis toujours, que j'ai écrit ce sketch Vacances à Marrakech. Pour me défouler. Je ne le joue plus. Je ne le jouerai peut-être plus jamais. Parce que ça, c'est le piège de l'humour, il n'y a pas de mode d'emploi. C'est fatalement ambigu. Quand on touche à des thèmes « politiques », si on veut jouer la sécurité, on organise carrément un meeting. A la Mutualité. Pas à Bobino. Moi, D'ABORD c'est faire rigoler que je veux. Mais - suis-je exigeant - pas n'importe comment. Et pas n'importe qui. Et là, certains soirs, pendant et après le spectacle, j'entendais des rires et des commentaires qui me faisaient mal. Genre: « Qu'est-ce que tu leur mets, aux ratons! » Je me consolais en me disant qu'heureusement une bonne partie de la salle me recevait cinq sur cinq, mais ce nuage de malentendus, c'était encore trop. J'avais pourtant mis le paquet pour aller à l'évidence. [...] Le moins gai, c'est que de l'autre côté non plus, du côté des «bougnoules», ils n'ont pas tous compris. Pas tous. Comment leur en vouloir? J'ai eu beau multiplier les explications, les justifications, les interviews à la radio, à la télé, ça devenait chiant, ce malaise, à la fin. Des types venaient m'attendre dans les couloirs du théâtre, d'autres qui avaient attrapé le sketch au vol dans une émission m'écrivaient. Furieux, peinés. Et moi donc! Je leur parlais, je leur répondais, longuement. Il semble que j'ai réussi pour la plupart à les convaincre. Mais le cœur n'y était plus. J'ai laissé tomber."
Donc, pour lever tout malaise, non je ne suis pas partisan du "non" au traité ; non je ne suis pas partisan d'une rupture des relations diplomatiques avec les Etats-Unis ; non je ne suis pas partisan d'une sortie de l'euro... Ouf !
Rédigé par : Hugues | vendredi 12 novembre 2004 à 15:45
Il faut absolument que je te mette sur mon blogroll.
Rédigé par : socdem | dimanche 14 novembre 2004 à 14:50
Criant de verite mais on reconnait que c'est un faux car il manque "grave dans le marbre" !
Rédigé par : Scope | mercredi 24 novembre 2004 à 12:26
J'ai adoré ton article, hugues ! Magnifique exercice de politique-fiction !
Je salue aussi ce que tu écris sur le mariage gay, en réponse à un commentaire. Sur mon blog, tu pourras lire une lettre que j'avais écrite à Jospin sur ce sujet (article du 25 novembre 2004), suite à son intervention dans "le journal du dimanche" condamnant ce type d'union.
Amicalement !
Rédigé par : sébastien | vendredi 25 février 2005 à 18:26
Il est savoureux de relire ce billet aujourd'hui... (via un lien chez Publius)
Rédigé par : samantdi | dimanche 05 juin 2005 à 16:07
Il est savoureux de relire ce commentaire aujourd'hui, car 60% des Français ont voté non. D'aprest toi, qui détiens la vérité inspirée par ton scénario (bravo quand même)... je serais donc un con sans raison. Toi non.
Heureusement qu'on a plus le Traité, car la lutte contre le CPE alors...
T'es tu imaginé qu'on pourrait refaire le texte avec les délires européistes des bourgeois qui trompent le PS ?... dont toi....jusqu'à ce que tu te fasses mettre aussi par ce groupe...
Bonne journée,
Pierre le Belge de Lille
Rédigé par : BelgoDétrompeur | lundi 03 avril 2006 à 06:33
Il est effectivement savoureux de relire ce texte, mais je comprends assez mal en quoi la situation actuelle renforce le camp des nonistes. J'ai sans doute loupé un épisode. Amitiés, camarade !
Rédigé par : Hugues | lundi 03 avril 2006 à 09:54
mon dieu, c'est si bon rire.
merci pour ce billet que je découvre avec un peu de retard.
Rédigé par : cecil | vendredi 04 avril 2008 à 12:57