Difficile de faire le moindre commentaire original sur cette élection. Bush a gagné. Pour les amateurs du genre, il y aura évidemment quelques nouveaux « recounts » ici et là. Quelques bagarres juridiques sur la manière dont ont été gérées les procédures d’inscriptions électorales éclateront probablement dans les jours qui viennent. Quelques réactions indignées sur la bêtise crasse de ces Américains buveurs de bière et amateurs de gros calibres fleuriront rapidement dans les pages Rebonds de Libé . Mais bon…
Moi, au final, j’ai plutôt le sentiment que la démocratie est loin d’avoir été mise à mal dans cette affaire, en tout cas au niveau du respect de son fonctionnement formel et de ses objectifs. Le vainqueur l’emporte par plusieurs millions de voix et dans la grande majorité des Etats. Nader ne joue les Besancenot que dans le Nouveau-Mexique, qu’il empêche malheureusement Kerry de remporter mais sans peser sur l’élection globale…
Comme tout le monde, j’aurais préféré que Kerry soit élu, ne voyant pas le moindre avantage, ni pour les Américains ni pour le reste du monde, à un prolongement du bail de Bush à la Maison Blanche. Mais de la part d’Européens capables de voter deux fois pour Chirac, d’éliminer Jospin pour cause de manque de pureté socialiste ou de permettre à Berlusconi de siéger à Rome, on ne s’attend guère au jet de la première pierre.
La France, on l’a compris, aurait massivement voté Kerry. De fait, l’Europe entière aurait massivement voté Kerry. Mais dans la mesure où ne votons pas aux élections américaines, nous pourrions peut-être nous contenter de prendre notre propre destin en main. Au plan économique, nous avons accepté de devenir les spectateurs du dynamisme US, espérant seulement être entraînés par la reprise qu’il saura susciter. La capacité des Américains à créer des richesses est devenue notre météo. Est-ce une fatalité ?
Aux plans politiques et sociaux, l’actualité américaine est aussi devenue l’alpha et l’oméga de toute réflexion. S’agit-il de réformer la sécu, La Poste, l’école, les pistes cyclables ? La moindre proposition est immédiatement appréciée en fonction de sa proximité perçue au modèle américain – repoussoir systématique.
Au plan culturel, les spécificités de notre cinéma, de notre peinture, du statut de nos artistes, ne se construisent plus qu’en creux, dans le cadre de la lutte contre l’américanisation / homogénéisation de la production d’œuvres ou d’idées.
Au plan international, l’Europe se plaint d’être incapable de donner de la voix et de subir l’hyper-puissance américaine, tout en refusant de proposer une alternative sérieuse à ce modèle. La réélection de Bush vient pourtant nous rappeler que les gesticulations de Chirac (vous savez, le type qui se bat contre la fracture sociale et chante l’instauration de la taxe Tobin en duo avec Lula entre deux salons de l’agriculture) ne sont, précisément, que des gesticulations.
La guerre en Irak n’était pas une bonne idée ? OK, l’avons nous empêchée ? Non. La gestion de l’après-guerre est absurde et ne mène nulle-part… OK : quelles sont nos propositions concrètes et, surtout, nos initiatives ? Notre modèle social est plus juste que le leur. Ok. Cherchons-nous à le rendre plus performant pour améliorer la vie des Européens lorsque le monde change ? Cherchons-nous à le promouvoir hors d’Europe en démontrant qu’il apporte justement plus de prospérité et moins d’inégalité ? Non, nous préférons nous concentrer sur les arcanes de l’article IV-443 du traité constitutionnel, dont certaines virgules nous choquent.
Bush a été réélu au terme d’un processus démocratique qui pourra nous paraître étrange mais dont les spécificités s’expliquent par l’histoire de la construction de ce pays. Et si après avoir été consternés par l’absurdité du choix des électeurs US nous nous mettons à gloser sur la question des grands électeurs, où cela nous mènera-t-il ?
Pensez-vous que les constitutionnalistes locaux, après avoir pris connaissance des objections proférées par Gilbert Michu au zinc du café du Commerce sur les mérites comparés du suffrage universel direct et du recours aux grands électeurs, modifieront immédiatement leur loi fondamentale ?
Bush a été réélu, donc, mais il n’est que le président des Américains, détail dont même ces brutes incultes qui peuplent le Texas se sont rendus compte en rentrant de la chasse à l'écureuil dans leurs gros 4X4. Les Européens, si fins, si cultivés, finiront-ils aussi par s'en rendre compte ?
© Commentaires & vaticinations
Voici quelques analyses. Cordialement. La suite sur la synapse
"""Quelle que soit l’issue du vote, on n’en aura pas fini de tirer les enseignements sociologiques et historiques quant à ce pays que les Européens croient connaître et qui pourtant échappe pour une bonne part à nos catégories françaises, notre pays étant unifié de longue date par la tradition jacobine, elle-même issue de l’étatisation précoce de notre nation. Il y a là-bas des choses inconcevables pour nous Français. Prenons-les par le commencement.
On notera l’existence d’une scission qui selon quelques analystes extrémistes, n’a jamais été aussi prononcée que depuis l’élection de Lincoln il y a 140 ans exactement, en pleine Guerre de Sécession faut-il préciser. Sans sacrifier au cliché, le conflit en Irak ne serait-il pas une guerre qui fait sécession au sein de l’Amérique ? Toujours est-il que l’élection a été gagnée par Georges W.Bush et ce assez nettement selon nos critères démocratiques puisqu’il devance John Kerry de près de quatre millions de suffrages. Trois critères permettent d’analyser avec finesse et signification les résultats.
Tout d’abord les votes spécifiques des communautés. Le vote juif, même s’il a décliné en pourcentage, reste acquis aux Démocrates, comme du reste le vote noir qui lui reste très accentué, bien plus que celui des Latinos, quant aux Asiatiques, leur choix pencherait vers les Républicains. Ensuite, observons la différence assez marquée entre les hommes qui ont voté à 54 % pour Bush contre 47 % pour les femmes. Sept points de différences ce n’est pas rien. Les différences sexuelles se traduisent par des différences politiques. Chez nous, ce serait impensable.
Ensuite les votes géographiques et en premier lieu la coloration historiquement datée des différentes zones du territoire. Les états qui selon nos critères sociologiques sont les plus avancées, les plus progressistes, les plus proches par leur culture de l’Europe votent Kerry, comme d’ailleurs l’Europe et la France qui aurait élu le candidat démocrate avec les trois quarts des suffrages. On constate également que ces états sont en moyenne plus riches que ceux du centre des Etats-Unis acquis à la cause républicaine. Cela dit, la scission politique semble relever plus des différences territoriales que financières.
Autre effet territorial marquant, le vote urbain. Si on n’avait pris en compte que le scrutin des villes de plus de 500 000 habitants, Kerry aurait carrément explosé Bush. Le vote démocrate dans les plus grandes villes est impressionnant et même étonnant de part certains chiffres publiés, avec néanmoins des exceptions"""
Rédigé par : Fulcanelli | mercredi 03 novembre 2004 à 19:11
Bravo pour le billet !
Commençons par balayer devant notre porte: quand on a Chirac, Sarko, Raffarien, Perben on se ferme sa gueule et on commence par faire le ménage chez soi; surtout quand on a été une grande puissance coloniale qui a surement été aussi dégueulasse que les USA (et qui continue à l'être par bien des aspects, en Afrique ou en Polynésie par exemple).
Rédigé par : Vince | jeudi 04 novembre 2004 à 11:49
Merci, merci, merci.
Rédigé par : Estelle | jeudi 04 novembre 2004 à 15:17
Enfin une reflexion intelligente, ca change de l'anti-americanisme primaire des forumsde liberation...mais les francais ont la memoire courte et tres selective, comme a leur habitude...
Rédigé par : Christophe | jeudi 04 novembre 2004 à 17:29
Analyse très pertinente de nos travers particulièrement énervant d'égocentrisme donneur de leçon incapable d'aborder les événements de manière constructive.
Rédigé par : chourka | samedi 06 novembre 2004 à 14:21