Un grand merci à Sarkozy, ce matin. La sortie de sa dernière encyclique me donne en effet l’occasion de reprendre mes distances et de rassurer mon ami Michel B., lequel est convaincu que la bête noire de Chirac remplacera bientôt DSK dans mon petit panthéon personnel…
Nicolas Sarkozy, apprenons-nous, est catholique. Ah bon. Tant mieux pour lui. J’en connais de très sympas et j’apprécie beaucoup l’architecture de leurs lieux de culte. Ce que je trouve moins sympa, en revanche, c’est son idée selon laquelle «la dimension morale » serait « plus solide, plus enracinée, lorsqu'elle procède d'une démarche spirituelle, religieuse, plutôt que lorsqu'elle cherche sa source dans le débat politique ou dans le modèle républicain ».
Je n’ai pas lu son livre (je ne pense d’ailleurs pas le lire, avec toute cette lessive en retard) mais je fais confiance à Libération pour en avoir recueilli la substantifique moelle avec cette autre citation : « la République (...) ignore le bien et le mal. [Elle] défend la règle, la loi sans la rattacher à un ordre moral ».
Hum. Non, pas sympa, pas sympa du tout. Mécréant avoué, je revendique ma capacité à comprendre, intégrer (et militer pour) un système de valeurs à la fois solide et, disons-le, moral, ne se référant à aucun credo religieux. Bien entendu, je ne suis ni stupide ni complètement ignorant des mécanismes historiques ayant conduit l’Homme à en passer par divers dogmes éventuellement « révélés » pour construire le système de valeurs qui me définit aujourd’hui. Mais ce n’est pas parce que nos anciens expliquaient que le tonnerre était le produit de la colère de Zeus que je devrais abandonner l’idée qu’il s’agit seulement d’un phénomène physique spectaculaire, certes, mais assez bien documenté au niveau scientifique.
Ce n’est pas non plus parce que l’un des dix commandements insiste lourdement sur l’interdiction de tuer des gens que je ne passe pas ma vie à trucider mes voisins. Je suis capable, sans recours au Grand Architecte, de saisir toutes les implications morales du refus de tuer des gens (je n’ai d’ailleurs même pas besoin de me référer à la simple « règle républicaine » pour réfréner mes pulsions meurtrières).
Je ne sais pas si Sarkozy est sincère dans ce que Libé qualifie d’outing et je veux bien lui accorder le bénéfice du doute. Mais je le sais évidemment trop malin pour ne pas avoir remarqué que ce qui marche outre-Atlantique a tendance à fonctionner ici, après un peu de fine tuning culturel. La manière dont certains politicos américains surfent sur les valeurs religieuses ne lui a donc certainement pas échappé. Je sais également qu’il lui faudra, d’ici à la remise en jeu officielle du trône, occuper le terrain par tous les moyens ; d’autres prises de positions « courageuses » et iconoclastes seront donc probablement régulièrement rendues publiques (quid de la dimension spirituelle et culturelle de la chasse à l’ours ?). Mais alors que mes pauvres mirettes peinent à me faire percevoir avec autant d’acuité qu’autrefois la ligne ferme et robuste qui sépare la droite de la gauche en France, je me dis que la laïcité, dans sa fameuse acception spécifiquement française (et, on le sait, totalement incompréhensible à Washington, Londres, Abou-Dhabi, Varsovie ou Berlin), fait justement partie de mes valeurs morales de base.
Né dans une famille juive non-pratiquante, je suis aujourd’hui l’époux d’une catholique « nominale », c’est-à-dire à peu près aussi intéressée par les questions religieuses que Georges Bush par la possibilité de payer en plusieurs fois sa cotisation annuelle à Lutte Ouvrière. J’ai pourtant, autour de moi, tout un tas de gens très sincères qui parviennent à concilier une vision du monde très proche de la mienne dans le cadre d’une foi réelle et pour laquelle j’ai le plus grand respect. Je trouve pourtant incroyable qu’il puisse devenir, ici, dans ce pays, urgent de rappeler que la foi et la pratique religieuse sont des affaires strictement privées, qui n’ont pas à interférer avec l’organisation politique et sociale. L'histoire du voile, qui avait déjà servi de révélateur des ambiguïtés sur lesquelles Sarkozy et d’autres ne manqueront pas de surfer dans les années qui viennent, n’était probablement qu’une étape. Et vraiment, au risque de mélanger torchons et serviettes, je préfère voir la France transformée par le rapport Camdessus que par l’émergence de leaders politiques déguisés en commandeurs des croyants. S'agit-il déjà d'une opinion marginale ?
© Commentaires & vaticinations
Une opinion marginale ? Vous plaisantez.
Vous m'ôtez, une fois de plus, les mots de la bouche.
Permettez-moi de vous ajouter à mes liens...
A +
Rédigé par : Cyrille | jeudi 04 novembre 2004 à 11:47
Comme Cyrille... Je viens de vous découvrir (car cité chez Ceteris Paribus).
1 - je lis (un peu)
2 - je mémorise (le lien)
3 - je continue (à lire)
4 - j'approuve (largement) et me sens moins seul
5 - j'apprécie la qualité de l'écriture, signe probable de la qualité de l'esprit.
Merci.
Rédigé par : Arno | jeudi 04 novembre 2004 à 13:12
Bonjour,
Vous dites « je revendique ma capacité à comprendre, intégrer (et militer pour) un système de valeurs à la fois solide et, disons-le, moral, ne se référant à aucun credo religieux. »
Ce que vous semblez ignorer (je me trompe peut-être) c'est que votre système de valeurs est en fait un héritage direct des valeurs judéo-chrétiennes. Qu'on le veuille ou non, la plupart de nos valeurs sont héritées de la morale religieuse. Je ne suis pas assez expert pour développer à l'instant, mais de grands penseurs ont disserté au cours des siècles sur la morale, et ont construit un système de pensée.
Cela n'est pas contradictoire avec l'absence de foi religieuse. A votre façon vous êtes peut-être croyant sans le savoir :-)
Rédigé par : Olivier J | jeudi 04 novembre 2004 à 14:37
Non non, Olivier, je ne pense pas être "croyant sans le savoir". Et d'ailleurs, si vous relisez la fin du paragraphe que vous citez, je précise que :
"Bien entendu, je ne suis ni stupide ni complètement ignorant des mécanismes historiques ayant conduit l’Homme à en passer par divers dogmes éventuellement « révélés » pour construire le système de valeurs qui me définit aujourd’hui. Mais ce n’est pas parce que nos anciens expliquaient que le tonnerre était le produit de la colère de Zeus que je devrais abandonner l’idée qu’il s’agit seulement d’un phénomène physique spectaculaire, certes, mais assez bien documenté au niveau scientifique."
Je ne prétends pas, moi non plus, me situer au-delà des croyants en termes d'évolution de l'espèce humaine (encore que, certains matins, après un bon café...). Mais je pense effectivement qu'une société complexe et sophistiquée (dans un sens non-péjoratif) peut s'appuyer sur d'autres éléments que le divin pour s'organiser. Le droit, la morale, la recherche de la justice et d'équité, ces notions n'appartiennent plus au domaine religieux lorsqu'elles sont pensées sur le mode politique. Il existe même un pays censé s'être structuré sur les concepts de liberté, d'égalité, et de fraternité...
Qu'un héritage religieux soit intervenu, au cours des siècles, dans l'élaboration de ces concepts ne les empêche pas d'être valides sans le recours au "sacré". Et la démocratie, il ne faut pas l'oublier, a tout de même été d'abord pensée chez les Grecs, qui n'avaient pas grand chose à voir avec la tradition judéo-chrétienne que nos amis Polonais (c'est juste pour faire court, je n'ai rien contre les Polonais -- quoique, certains matins, après un bon café...) ont cherché à introduire dans la Constitution européenne.
Au final, oui, des phénomènes religieux de tous ordres ont effectivement pesé sur la mise au point d'une construction sociale "moderne", mais pas forcément davantage que certains paramètres culturels a-religieux, voire certains éléments géographiques ou climatiques. Ca s'appelle l'Histoire.
Mais ce que fait Sarkozy, ça s'appelle de la stratégie.
Rédigé par : Hugues | jeudi 04 novembre 2004 à 15:05
Parfaitement d'accord avec Hugues.
Je pense que la religion a été le support de certaines règles qu'on appelle "valeurs morales", comme par exemple la prohibition de l'inceste ou du meurtre, mais dont les fondements sont autres : ce sont des règles qui permettent de vivre ensembles et qui tirent leur légitimité du fait qu'elles ont empirement démontré qu'il était plus facile, tant pour les individus que pour la collectivité, de vivre avec ces règles que sans.
Rédigé par : Paxatagore | jeudi 04 novembre 2004 à 19:05
N'ayant point lu la bulle "Res Publica, religionis spesque", je me hasarde à me demander si notre bien aimé chambellan n'a pas rappelé une évidence : la séparation entre droit et morale, le fait que la république, source de droit, ne se soucie que de la loi et non de la morale, qui relève de la liberté individuelle.
Si un meurtrier est mis en prison, ce n'est pas parce qu'il a violé le 5e commandement ou a fait le Mal, mais parce que c'est ce que prévoit l'article 221-1 du Code pénal (et qu'il ne m'a pas pris comme avocat, mais je m'égare).
Lui faire dire à partir de cette phrase que hors de la religion, il n'y a point de morale et que tout athée, fut-il blogueur, est une créature immorale voire malfaisante, me paraît une erreur de lecture manifeste.
Rédigé par : Eolas | dimanche 07 novembre 2004 à 02:46
Sarkozy serait dans l'erreur ? Ca ne m'étonne pas : "il a des yeux mais ne voit point, il a des oreilles et n'entend point". (Jérémie 5:21)
Mais ce n'est pas grave car les portes du paradis s'ouvriront aux simples d'esprit.
Rédigé par : Hugues | dimanche 07 novembre 2004 à 20:02
Ah cool le blog d'un type qui aime bien dsk.J'en ai un aussi www.socdem.net
Rédigé par : socdem | mardi 09 novembre 2004 à 02:03
A la question "S'agit-il déjà d'une opinion marginale ?"
Non.
Ton billet est bien écrit,
Merci
Rédigé par : fabrice | mercredi 10 novembre 2004 à 14:51
belles ecritures, formes presque amusantes... tu cherches l'esprit mais tu n'en as pas.
a bientôt ;)
Rédigé par : le H | vendredi 18 février 2005 à 11:36
Fabrice,
Merci
Le H,
Merci aussi. Quelle incise spirituelle ! Je m'en inspirerai dans la mesure de mes moyens limités.
Rédigé par : Hugues | vendredi 18 février 2005 à 12:05