Après avoir été traité de « sarkozyste » dans l’affaire Camdessus, je risque aujourd’hui d'être accusé de « chiraco-bayrouisme » sur la délicate question d’un financement par l’Etat des structures de l’Islam. Mais tant pis, j'assume…
Je suis prêt à parier que Sarkozy, en tentant de ringardiser la loi de 1905, fait preuve d'autant d'honnêteté intellectuelle que Fabius lorsqu’il appelle à voter Non au Traité constitutionnel. Le petit Nicolas, en effet, est désormais partisan d’une « approche nouvelle de la laïcité», permettant à des fonds publics de promouvoir l’émergence d’un « Islam à la Française », éventuellement via la construction de mosquées. Inutile de dire que les réactions indignées de Chirac et de Bayrou me réconforteraient plutôt, à défaut d’entendre le PS prendre une position plus ferme que le vague « il faut que l’UMP précise sa position » du camarade Premier secrétaire.
Bien entendu, tout le monde est d'accord pour trouver anormal le manque de moyens et d'infrastructures de l'Islam en France. Tout le monde est d'accord pour considérer que les musulmans ont le droit de disposer d'édifices religieux dignes et de ministres du culte convenablement formés. Tout le monde est d'accord pour trouver dangereuse l'influence des bailleurs de fonds saoudiens...
Mais tout le monde n'est pas d'accord pour la remise en question d'un élément consubstantiel à l'idée d'une République libre, laïque et indivisible (c'est-à-dire irréductible à une collection de communautés juxtaposées).
Je ne sais pas si Chirac faisait de l’humour en comparant la loi de 1905 à une « colonne du temple », mais je préfère utiliser l’expression « colonne vertébrale » pour évoquer un aspect aussi évident (et tant pis pour le lyrisme) de la marche en avant des civilisations vers une capacité à vivre en commun sans interférence du fait religieux sur la vie publique.
La France est parsemée d’églises catholiques, soit. C’est le témoignage d’une Histoire millénaire (ce qui n’est rien d'autre qu’un constat objectif). Elle compte aussi pas mal de temples protestants et de synagogues, reflet de la présence pluri-séculaire des protestants et des juifs dans certains coins de l’Hexagone (Cévennes, Savoie, Ardèche, Alsace, Drôme, Comtat…). Elle ne compte que peu de mosquées, ce qui témoigne de la constitution récente d’une communauté musulmane importante et visible et certainement pas d'une volonté délibérée d'avantager ceux-ci par rapport à ceux-là.
Mais le fait que cette communauté, tout aussi légitime que les autres dans sa pratique et dans ses droits, ne se soit massifiée que bien après l'adoption de la loi de 1905, mais aussi après les Lumières et la Révolution, ne signifie pas qu’il faille « remettre le système à plat », comme s’il ne s’agissait que d’une question d’ajustements sans conséquences. Et d’ailleurs, où s’arrêteront ces ajustements si, comme on l’entend déjà ici ou là, les témoins de Jéhovah (plusieurs centaines de milliers en France) et les bouddhistes (un million, paraît-il), exigent, au nom de l’égalité, que l’Etat finance des lieux de prières et contribue à la formation des clercs ? Lors de l’affaire du voile, la question sikh, évidemment marginale, est venue rappeler que le diable (sic) est souvent dans les détails.
Et il ne s’agit là que des religions « officielles » et reconnues (bien que l’Etat, en principe, « ne reconnaisse aucun culte »). Que faudra-t-il faire, demain, face aux scientologues et autres pentecôtistes, religions fermement établies ailleurs mais considérées comme des sectes ici, lorsqu’ils iront jusqu’à la cour européenne des droits de l’Homme pour y faire condamner la France pour discrimination.
La loi de 1905 n’est pas née dans le calme et la sérénité mais dans le cadre d’un vrai combat pour la laïcité porté par des forces réellement progressistes. Sarkozy voudrait aujourd’hui qu’elle cède le pas à une sorte d’organisation plus « moderne » de la société, où l’on pourrait imaginer, pourquoi pas, que le satanisme puisse enfin avoir droit de cité dans l’armée. Allusion ridicule à cette histoire britannique d’un officier autorisé à pratiquer le culte du Malin ? Pas du tout : c’est précisément l’aboutissement d’un système où la religion détermine la pensée et l’action des citoyens qui conduit à ce genre de situation. Cette histoire, lorsqu’elle a été commentée en France, a évidemment fait ricaner dans les chaumières. Mais en Grande-Bretagne (pays où le Premier ministre nomme l’archevêque de la religion d’Etat), ou en Allemagne (ou le fisc prélève et répartit le denier du culte), elle n’a pas paru si farfelue – tout juste originale.
Donc, une fois n’est pas coutume, c’est sur une citation de Bayrou que je m’appuierai aujourd’hui : « Nicolas Sarkozy dit, grosso modo, qu’il faut favoriser l’Islam dans les banlieues pour éviter un certain nombre de désordres (…). [Mais le fait spirituel] n’est pas là parce que l’Etat a besoin de trouver un complément qui fasse que les gens se tiennent tranquilles. »
Le statut privé de la pratique religieuse n’empêche pas, au contraire, de ramener l’enseignement du « fait religieux » à l’école (dans ses dimensions historiques, politiques et culturelles s’entend). Une telle initiative, si elle passe effectivement par des maîtres formés hors des circuits religieux plutôt que par des aumôniers déguisés en profs, ne peut que permettre le développement d’une plus grande connaissance des uns par les autres, d’une plus grande tolérance, mais aussi d’une culture générale plus vaste…
Le statut privé de la pratique religieuse n’empêche pas non plus l’Etat d’assister financièrement les écoles confessionnelles qui, dans le cadre d’un contrat d’association classique, proposeraient des valeurs « musulmanes » en complément des cours de maths ou de français, à l’instar des écoles catholiques qui constituent 90% du réseau des écoles privées en France.
Le statut privé de la religion, enfin, n’empêche en rien l’Etat de stimuler la création de structures organisées pour les religions, Sarkozy pouvant se féliciter d’avoir mis en place, avec le CFCM (Conseil Français du Culte Musulman), et en dépit de problèmes de mise en route, un concept finalement assez proche des consistoires israélites et protestant « inventés » par Napoléon.
Mais là s'arrête la comparaison entre Sarko et le petit caporal. Le futur président de l'UMP, s'il se mêlait d'influencer la société française aussi largement que Bonaparte, aurait plus sa place à Saint-Anne qu'à l'Elysée, même si se prendre pour Napoléon est de rigueur en ces deux endroits.
© Commentaires & vaticinations
Très bon.
On atteint vraiment des centaines de milliers de Témoins de Jéhovah en France (hors des statistiques de la secte, je veux dire) ? On m'a dit que ce courant n'est toujours pas reconnu officiellement comme religion par le gouvernement français (en partie à cause de ces accusations de non-assistance à personne en danger pour la transfusion sanguine).
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PS: J'ai le droit de piquer l'interdiction de porter la soutane ?
Rédigé par : Phersu | mercredi 17 novembre 2004 à 14:14
Je ne sais pas si les témoins de Jéhovah sont vraiment aussi nombreux qu'ils le disent. Mais ils sont effectivement présents et, de toute façon, je vois mal un texte législatif fixer à X% la représentativité de tel ou tel groupe religieux.
Pour ce que j'en sais, ils sont d'ailleurs reconnus comme une religion à part entière. Mais la question porte surtout sur leur visibilité et leurs exigences. Aujourd'hui, ils ne demandent rien, mais si des fonds publics sont proposés aux autres religions, ils seraient fondé à en demander autant. Et qui sélectionnera les religions "de qualité" ? Là dessus, j'ai peut-être une idée : on pourrait leur demander d'accomplir une série de miracles. S'ils réussissent le test, ils auront droit à un financement. Ce serait comme l'AMM des médicaments. Mais attention, une religion déjà établie qui louperait son AMM miraculeuse serait privée de ses infrastructures, qui seraient alors redistribuées à d'autres.
Moi-même, je songe à créer une église en m'associant avec David Copperfield et Gérard Majax.
Rédigé par : Hugues | mercredi 17 novembre 2004 à 18:41
Cela poserait alors le problèmes de religions qui nient explicitement l'existence de miracles (certains Puritains fidéistes et théologiens apophatiques ou mystiques).
Mais comme dit Hume, le fait qu'il y ait des croyants est en soi-même déjà un miracle.
Rédigé par : Phersu | mercredi 17 novembre 2004 à 19:09
Mais non, pour celles là, il suffirait de définir un statut dérogatoire de religion placebo, comme pour l'homéopathie qui échappe à l'AMM..
Rédigé par : Hugues | jeudi 18 novembre 2004 à 08:56