Les importations textiles chinoises ont bruyamment pris la place la directive Bolkestein dans le débat constitutionnel. Le péril jaune ferait-il davantage recette que le plombier polonais comme repoussoir libéral ?
La mort de Jean-Paul II aura certainement eu le mérite de parfaire notre éducation en matière d’étiquette vaticane. Et les ignorants que nous étions sont désormais incollables sur les détails de l’élection d’un pape, qu’il s’agisse du nombre de cardinaux par pays, des prérogatives du camerlingue ou des angoisses du tailleur personnel du « Saint-Père » à l’heure du renouvellement des chasubles pontificales.
Les déferlantes médiatiques, qu’elles soient de type « people » (Jean-Paul, Benoît, Rainier, Fabien et les autres) ou de nature « socio-économique » (les ventes à la découpe, le lundi de Pentecôte, Executive Life…), ont ceci d’intéressant qu’elles nous permettent de faire le tour d’un problème dont nous ne savions même pas qu’il se posait à nous avec une telle urgence. « Sommes-nous encore un pays laïque, si les drapeaux sont en berne et si le maire de Marseille offre une demi-journée de congé aux employés municipaux pour leur permettre de regarder les obsèques du pape à la télé ? » se sont ainsi demandé les uns avec angoisse, des semaines durant. « Mais oui, évidemment, ont sereinement rétorqué les autres. Il s’agissait juste d’accorder une certaine importance à la mort d’un leader religieux de premier plan, directeur de conscience putatif d’un très grand nombre de Français… »
Franchement, l’intensité de la couverture médiatique du remplacement de Karol par Josef n’était pourtant la preuve de rien du tout, au-delà du besoin qu’a la presse de disposer d’informations vedettes aussi majeures qu’aisément évacuables en fin de cycle. Et si la disparition du 263ème successeur de Pierre n’avait pas, fort malencontreusement, coïncidé avec celle du patriarche des Grimaldi, c’est sur notre rapport pervers à l’aristocratie que nous nous nous serions interminablement interrogés en admirant les VIP assemblés sur le Rocher à l’occasion du « coming of age » du prince Albert (pour son « coming out », il faudra encore attendre).
Mais pour en revenir à cette comparaison entre sujets prétendument frivoles et thèmes a priori sérieux, les mécanismes sont à peu près toujours les mêmes : une histoire en soi anodine, mais porteuse de fantasmes en kit (la religion, le cul, l’argent, la guerre, l’emploi, le sport…), savamment initiée par un média leader (Voici, Libé, le blog d’Etienne Chouard…), est reprise par la télé et vogue la galère !
La directive Bolkestein, par exemple, dont les enjeux n’avaient rien de bien fracassant dans la perspective de l’intégration européenne, est devenue, par la grâce d’un débat constitutionnel souffrant d’un évident retard à l’allumage, le symbole de la mondialisation anglo-libérale. Et une fois la boule de neige en mouvement, plus question de la stopper – référence au traité de Rome ou pas. Même Madelin, que l’on n’entend d’ailleurs plus beaucoup, s’il s’était exprimé sur ce sujet, aurait probablement condamné ce projet avec la dernière des énergies... Dans un autre contexte, un social-démocrate honnête et pragmatique aurait pourtant pu hasarder que, bof, vraiment, en dépit de quelques bricoles à repréciser sur ces histoires d’ « Etat d’origine », il n’y avait pas là de quoi fouetter un Pascal Lamy.
Mais une fois la monstrueuse directive écartée par un Chirac plus altermondialiste que jamais, et les craintes des orthodoxes sur l’avortement, le divorce et le droit de respirer gratuitement plus ou moins écartées, il fallait bien qu’une nouvelle menace, un nouveau loup-garou capitaliste, fasse son apparition pour nous tenir en haleine jusqu’au 29 mai. Et quoi de mieux, en l’espèce, qu’un rappel de l’une de nos peurs primales les plus fondamentales : le péril jaune et le danger posé par l’importation massive de textile chinois dans le cadre de l’accord multifibres signé à l’OMC.
Bon, que les Européens, dont les Français, n’aient en réalité qu’à se féliciter de cette nouvelle situation ne sera mentionné par personne, pas même par l’ancien militant d’Occident cité plus haut. Nul, en effet, ne s’aviserait de rappeler que la baisse du prix des vêtements est une bonne chose pour le porte-monnaie des Français et que les frusques en question (jeans, T-shirts, sous-vêtements…) ne sont plus fabriquées chez nous depuis belle-lurette, l’industrie textile hexagonale s’étant largement recentrée sur d’autres segments, moins dépendants des coûts de main-d’œuvre.
Personne n’aura non plus l’outrecuidance de préciser que l’intox des barons du textile tricolore, Guillaume Sarkozy en tête, est surtout liée à la concurrence que font peser les Chinois sur des entreprises ayant délocalisé en Tunisie, au Maroc ou au Bangladesh depuis des décennies. On peut toujours, évidemment, défendre l’emploi tunisien contre l’emploi chinois... Mais est-il alors nécessaire d’agiter ces fantasmes sur les risques encourus par les salariés français ? En tout état de cause, on pourrait surtout indiquer que, si les Chinois se mettent à fabriquer des vêtements meilleurs marchés que ceux que nous importions d’autres pays et nous achètent des Airbus ou des centrales nucléaires avec les profits, nous en sortons définitivement gagnants…
Mais bon, tout ça est vraiment trop compliqué. Et il est tellement plus facile, pour les partisans du Non, de clamer que l’Europe ouvre la porte aux Chinois et pour les partisans du Oui qu’elle la calfeutre, plutôt que d'apprécier les bénéfices globaux, pour nous comme pour eux, du développement du commerce mondial... Que les Chinois se rassurent toutefois : d'ici quelques jours, le textile devrait céder la place au festival de Cannes dans l'agenda des leaders d'opinion. Si nos amis de l'empire du Milieu se débrouillent pour ne pas décrocher la Palme d'Or et évitent de nous plonger dans une nouvelle crise introspective sur le thème des assauts de la mondialisation ultralibérale contre la culture française, ils devraient pouvoir se faire oublier...
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P.S. (qui n'a rien à voir ou presque) : Versac leader maximo de Publius, le site bien connu de commentaires (sans vaticinations) sur le traité constitutionnel, sera l'invité d'Arrêt sur images, l'émission de Daniel Schneidermann sur France 5 (dimanche 1er mai, 12h40). Il devra y défendre, face à un célèbre spécialiste du cerf-volant, les atouts du TCE sans jamais fléchir. Membre fantôme de Publius, je lui accorde évidemment toute ma confiance dans cette aventure.
© Commentaires & vaticinations
[citation : Même Madelin, que l’on n’entend d’ailleurs plus beaucoup, s’il s’était exprimé sur ce sujet, aurait probablement condamné ce projet avec la dernière des énergies]
Alain MADELIN c'est exprimé en faveur de la directibe Bolkestein voir
http://www.action-liberale.org/articles/Europe/Madelin_LE+LIBERALISME+TOUJOURS+LE+LIBERALISME+%21%2A.html
Quant à la Chine, la levée des barrières douanières est prévue depuis 1995 (Urugay Round); ce qui fait que les Chinois s'y préparaient depuis 10 ans mais pas les Français.. La routine quoi.
Rédigé par : all | jeudi 28 avril 2005 à 20:10
Hum, j'avais laissé passer ça... Mais je viens d'aller lire le texte de Madelin via ton lien et effectivement, je risque de passer pour une vraie crapule si je me retrouve à défendre les principes fondateurs du traité de Rome en compagnie d'un ancien nervi d'extrême-droite converti au libéralisme.
Mais sur le second point, l'impréparation de la France, il semble en fait que nous soyons tout à fait prêts à la fin des quotas chinois, la délocalisation de la production des types de vêtements couverts par l'accord étant déjà ancienne. Un article sur ce thème est paru dans Le Monde, mais il est malheureusement déjà en accès payant ( http://www.lemonde.fr/cgi-bin/ACHATS/acheter.cgi?offre=ARCHIVES&type_item=ART_ARCH_30J&objet_id=898299 ). Pour un certain discours politique, la question de fond n'est donc pas de savoir si le textile chinois présente un risque mais s'il peut être utilisé comme un nouvel argument contre le TCE d'une part, et contre le monde comme il va d'autre part.
Rédigé par : Hugues | vendredi 29 avril 2005 à 11:11
La libre circulation des marchandises oblige à une constante réorganisation du tissu social, à la continuelle adaptation de ceux qui sont sommés de changer d'activité, à la désaggrégation des relations humaines existantes. Même si le fameux porte-monnaie est mieux rempli, son possesseur n'en est pas plus heureux
Rédigé par : emmanuel | vendredi 29 avril 2005 à 13:36
Mais l'est-il davantage avec son porte-monnaie vide ?
Rédigé par : Hugues | vendredi 29 avril 2005 à 13:50
Le progrès "technique" aussi impose "une constante réorganisation du tissu social, à la continuelle adaptation de ceux qui sont sommés de changer d'activité...".
A nous de trouver les structures sociales qui permettent d'accompagner tout cela.
Ah bon le progrès technique c'est mal aussi ?
Mais je vous laisse par ailleurs libre d'aller expliquer aux habitants des PVD que la libre circulation des marchandises, c'est MAL.
Rédigé par : Eviv Bulgroz | vendredi 29 avril 2005 à 13:57
@emmanuel
ces adaptations sont difficiles certes(d'autant plus quand l'etat les gerent mal), sont pourtant la source des gains de productivités qui permettent d'augmenter la richesse du pays.
Alors je sais pas pour toi, mais moi je préfére vivre en France maintenant qu'il y a 1 siecle ou l'apport calorifique par personne et par jour etait sensiblement equivalent à celui de l'Inde à la fin du XXe siècle.
Rédigé par : binou | vendredi 29 avril 2005 à 14:28
Effectivement, il me semble un peu abrupt de décréter que le progrés technique est un bienfait en soi. En particulier, de nombreuses personnes ont vu leur travail réduit à une succession sans fin de gestes décidés par d'autre (que ce soit sur une chaîne de montage ou devant un ordinateur)
Rédigé par : emmanuel | vendredi 29 avril 2005 à 15:43
Ok.
C'est étrange. Les courbes d'espérance de vie sont en hausse partout dans le monde (sauf Afrique sub-saharienne et Russie). Mais le progrès c'est MAL.
Et entre repiquer dans une rizière et être sur une chaîne de montage ou un ordi, je ne sais pas ce qui est meilleur pour le teint effectivement.
Rédigé par : Eviv Bulgroz | vendredi 29 avril 2005 à 18:30
Emmanuel, je supposes que votre famille etait privilegiez au 19e siecle, car sinon je ne comprends pas comment vous pouvez affirmer que les conditions de travail(meme si il est vrai qu'en France depuis ces dernieres 20 annees les conditions de travail ne se sont pas forcement amélioré, mais c'est un probléme francais qui meriterais une discussion moins générale) se sont détoriorées.
Au lieu d'affirmer des faits non argumentés et contre dit par la réalité(comme le souligne Eviv, l'augmentation de la durée de vie exceptionnelle du 20e siécle, mais aussi le taux d'alphabétisation, le taux de mortalité infantile ...) il serait plus judicieux de sortir de votre propagande et d'argumenter un peu.
Maintenant si vous pensez vraiment que le progés technique est une plaie pour l'humanité je vous propose de trouver une communauté ou un pays repondant a vos besoin, et d'y passer quelques années. Ne vous privez pas pour nous faire partager vos experience, nous attendrons vos télégrames avec impatience.
Rédigé par : binou | vendredi 29 avril 2005 à 21:14
Je rajouterais qu'il est plus ou moins "prévu" que l'humanité se stabilise autour de 9 Milliards d'ici 30 ans. Pas une augmentation continue, du fait de la "mondialisation" qui tend à pousser les gens vers villes, mais une stabilisation. Les femmes dans les villes ça s'émancipe et faire un paquet de gosse ne devient plus un avantage concurrentiel.
Je m'égare. J'ignore si ses prévisions vont se réaliser. Ce que je sais c'est qu'on va saigner la planète (pollution, prélèvement de ressources naturelles pour bouffer, consommation d'énergie etc.). Mon seul motif d'optimisme est que le "progrès technologique" nous permette de mieux gére tout ça (éolienne performantes, ITER, aqua-culture, irrigations etc.)
Bref ça va être chaud ! Mais sans "progrès" je ne vois pas comment on s'en sort.
Rédigé par : Eviv Bulgroz | vendredi 29 avril 2005 à 21:28
Il ne s'agissait pas pour moi de décréter abruptement que le libre-échange, c'est mal. Ni que le progrès technique, c'est mal. Le problème tient à ce que ceux-là sont utilisés uniquement pour maximiser le PIB ce qui ne garantit en rien le bien être des personnes. La fin, c'est l'homme. Pas l'économie.
Quant à l'épuisement des ressources, il découle justement de cette obsession de la croissance. Et, ITER, aquaculture et autres techniques, sont des tentatives du binôme (croissance,progrés) pour soigner les désastres qu'il a lui-même engendrés. De même le développement du tourisme, des loisirs et la création continuelle de nouveaux gadgets servent à pallier la perte de sens du travail.
Enfin un dernier point : le 20ème siècle a été, je pense (je laisse vérifier ceux qui en doutent), le plus meurtrier de toute l'histoire de l'homme : le progrés technique permet de tuer plus de gens,à plus grande distance et plus rapidement.
La croyance au progrés est la nouvelle religion de notre époque.
Qoui qu'il en soit, je vous remercie de m'avoir répondu et de ne pas avoir écarté mes arguments d'un geste méprisant
Rédigé par : emmanuel | lundi 02 mai 2005 à 10:02
Eviv, Binou, vous êtes trop forts! Emmanuel met un petit bémol à la louange du progrès, et vous lui bondissez dessus à coups de rizières, d'apport calorique et de mortalité infantile... Vous n'auriez pas un peu l'impression de faire dans la facilité, là? (à part peut-être le dernier post d'Eviv)
Emmanuel parlait par exemple de la taylorisation du travail: je trouve que c'est un excellent exemple de progrès économique qui, sans aménagement important, peut se révéler assez néfaste sur le plan humain.
On peut quand même dire ça sans être contre le progrès, non?
D'ailleurs, ce sont surtout l'accélération du progrès et son accès plus aisé qui peuvent faire peur, puisqu'ils le rendent moins contrôlable: ça part un peu dans tous les sens, ça va très vite et la société s'y adapte trop lentement. Elle est encore en train de digérer des avancées trentenaires ou cinquantenaires et on lui demande déjà d'en ingurgiter de nouvelles qui remettent tout en question.
Bref, je crois qu'on peut être favorable au progrès tout en regrettant qu'il prenne parfois la forme d'une précipitation irréfléchie, dont on ne tire pas que des bienfaits, loin de là.
Ah, et puis Hugues, le parapente et le cerf-volant, c'est pas exactement la même chose... Faut sortir de Paris de temps en temps quand même! :)
Mathieu
Rédigé par : Mathieu | lundi 02 mai 2005 à 11:50
Je n'ai pas voulu être méprisant, d'où le deuxième post "correctif" :-). Mais je suis effectivement lassé du discours, tout est la faute du progrès et de son corollaire économique. Je ne crois qu'assez moyennement au retour à la terre en tan qu'idéal démocratique et écologique. Tous les indicateurs dont nous disposons tendent à montrer que ça a un impact positif sur l'espérance de vie (pas que des pays riches) etc. (ok on l'a déjà dit).
Ca ne signifie pas que je suis un affreux consumériste béat d'admiration devant la "merveilleuse" société qui est la notre. J'essaye simplement de ne pas me tromper de coupable, ou de cible enfin bref tente de montrer que c'est plutôt compliqué :-)
Rédigé par : Eviv Bulgroz | lundi 02 mai 2005 à 14:46
En effet, c'est compliqué. Et ici, le discours "merveilleux progrés, merveilleuse croissance" règne presque sans partage.
Rédigé par : emmanuel | lundi 02 mai 2005 à 14:58
A ce propos, vu qu'on met souvent sur le même plan progrès et croissance (enfin on utilise le progrès en priorité pour stimuler les bénéfices, et donc la croissance), je trouve que les 35 heures sont un excellent (contre-)exemple!
C'est quand même devenu assez rare d'entendre des propositions économiques qui ne viennent pas directement du même livre de recettes libéral, et qui fonctionnent! (Du moins sur le papier, dans la version d'origine de Rocard, parce qu'il est peut-être encore un peu tôt pour en dresser un bilan honnête, si ce n'est que les Français ne s'en plaignent pas particulièrement...)
Un bel exemple de progrès... social, non?
Rédigé par : Mathieu | lundi 02 mai 2005 à 18:02