42 km 195, c’est une demi-heure en voiture. Une paille. Mais à pied et en courant, c’est 4h21 et des mois de préparation. Dimanche dernier, je n’ai pas pris la voiture.
Au profit des mes lecteurs les plus récents, convaincus que la défense de la social-démocratie, la promotion de l’intégration européenne et l’exploration des micro-exceptions françaises sont à peu près mes seules préoccupations dans la vie, je me permettrais de rappeler que la course de fond est également au menu de ce blog.
Ayant décidé, en novembre 2003, de cesser de fumer à l’approche de la quarantaine et m’étant rendu compte que le seul moyen d’éviter de me transformer conséquemment en baudruche suralimentée était d’accompagner ce sevrage par un surcroît d’exercice physique, je me suis mis à trotter dans les rues de la Ville-Lumière. D’abord anecdotiques – 15 minutes par-ci, 15 minutes par-là –, ces séances se sont progressivement transformées en cinq sessions hebdomadaires et matutinales de 30 minutes augmentées d’une sortie longue d’une à deux heures le dimanche. Traditionnellement excessif dans mes initiatives, j’avais donc troqué une addiction pour une autre…
Une chose en amenant une autre, et après une paire de semi-marathons apéritifs, j’ai choisi, avec l’aimable coopération de mon épouse, de me lancer dans la préparation d’une vraie course à la grecque sur la base d’un entraînement aussi rigoureux que celui d’un adolescent japonais inscrit dans une académie militaire à la veille de Pearl Harbor ; l’étude du sabre en moins. Tout au long de ce programme, qui m’obligeait tout de même à me lever à 5h45 en semaine pour aller toucher la grille de l’église Saint-Augustin en partant du Père Lachaise (et retour, soit une boucle d'une heure), quand il ne s’agissait pas d’aller faire un tour du côté de la place de la Concorde histoire de varier les plaisirs architecturaux, je suis passé par à peu près toutes les dispositions qui siéent à un borderline maniaco-dépressif de ma trempe, naviguant de l’euphorie (« Putain, t’es trop bon ! Si ça se trouve, tu vas même le gagner, ce marathon ! ») au découragement (« Merde, c’est trop dur… J’y arriverai jamais ! »). Mais j’en ai également profité pour découvrir que, n’en déplaise à l'ami Dutronc, Paris ne s’éveille absolument pas à 5h00 et ne s’ébroue en fait que deux bonnes heures plus tard. Avant 7h00, un malade en short n’a même pas besoin de s’arrêter aux feux pour sautiller comiquement sur place comme le font les joggeurs moins matinaux dans l’attente du retour du petit bonhomme vert.
Mais bon, je suis parvenu, avec l’abnégation et l’opiniâtreté qui ne me caractérisent absolument pas, au bout du chemin, attendant avec fébrilité le fameux jour J armé d’une série d’objectifs précis : 1) finir la course ; 2) y parvenir en moins de 4h30 ; 3) faire un meilleur temps que ma femme (on a sa fierté machiste) ; 4) faire un meilleur temps que le mec de ma boss (on a sa fierté de classe). Indéniablement, les deux premiers de ces buts ont été atteints, la pointe de ma première Reebok (j’ai abandonné les Mizuno) ayant franchi la ligne d’arrivée en 4h21. Mais ma femme s’est débrouillée pour me mettre 2 minutes dans la vue et mon boss consort est arrivé avenue Foch en 4h12… Ca m’a un peu gâché, mais la vie est ainsi faite…
De fait, la veille de la course ne s’était pas déroulée de la manière la plus relaxante pour un prétendant au statut de marathonien. Dans de meilleures conditions psychologiques, ma prestation aurait peut-être été légèrement supérieure. Ainsi, j’avais prévu d’aller sagement me coucher avec les poules, un dernier plat de pâtes ingurgité – stockage de sucres lents oblige. Je me suis pourtant retrouvé coincé trois heures durant – et well past my bedtime – dans les embouteillages provoqués par une technoparade improvisée par un groupe de ravers cracheurs de feu entre République et Nation. Pas de quoi s'affranchir du stress pré-compétition que nous connaissons, nous les athlètes…
Et ce n’est pas tout. Une angoisse nouvelle était en effet venue, quelques jours plus tôt, s’ajouter au doute général sur mes capacités à mener mon projet à bien, à la suite d’une initiative aussi ridicule que saugrenue : la participation à un match de foot organisé dans le cadre d’une opération de consolidation de l’esprit de corps de mon auguste société. En temps normal, je n’aurais évidemment jamais envisagé d’aller chasser le ballon rond sur une pelouse du bois de Boulogne en compagnie d’un groupe de supporters du PSG. Mais, aveuglé par ma nouvelle persona de champion potentiel, je m’étais mis à croire qu’il suffisait de savoir courir pour marquer des buts et que toutes les disciplines m’étaient désormais autorisées. Grave erreur. Après quelques minutes de jeu, mon incompétence était devenue suffisamment évidente pour que les membres de mon équipe évitent soigneusement de me passer le ballon jusqu'à la fin du match. Mon prestige sportif en ayant pris un coup, une contre-performance le jour du marathon aurait achevé de me décrédibiliser aux yeux du monde.
En tout état de cause, le jour dit, dévalant les Champs-Élysées à la poursuite du « ballon vert des quatre heures » (ne cherchez pas, c’est un truc pour initiés..) en compagnie de 34 999 autres clampins, je n’avais plus le choix. C’était « court ou crève » ! Les premiers 20 kilomètres devaient d’ailleurs se passer sans encombre, la qualité de mon entraînement ayant fait de ce genre de distance une aimable formalité. Galopant aux côtés de mon épouse jusqu’au passage de l’arche gonflable matérialisant la première partie de la course, je devais alors me sentir pousser des ailes, la larguant sans autre forme de procès et accélérant brutalement kenyan style.
J’allais pourtant le regretter, une quinzaine de kilomètres plus loin, ma progression devenant graduellement moins aérienne, plus pataude. Ma meilleure moitié allait même reprendre la main aux alentours du kilomètre 38, sa constance ayant eu raison de mon esbroufe à une demi-heure de la ligne…
Mais au final, que dire ? Le marathon, c’est dur. C’est long. Tous les clichés sont vrais. Il faut de l’endurance, de la volonté, du souffle, de l’entraînement, etc. Mais tout le monde peut le faire, à en juger par la diversité des profils rencontrés entre les bois de Vincennes et de Boulogne : des jeunes, des vieux, des petits, des grands, des gros, des maigres, des chauves et des chevelus. J’ai même vu un type de 80 ans, un certain Léopold, encadré par ses supporters, prendre le départ. A-t-il fini ? S’est-il arrêté au semi ? A-t-il succombé à une rupture d'anévrisme en quittant le ravitaillement du kilomètre 15 ? Who knows ? Bref, tout le monde peut le faire mais tout le monde ne le fait pas. Parce que la plupart des gens préfèrent se dire que, oui, ça serait sympa, de faire un truc pareil, de vivre une aventure personnelle de ce genre, mais que, vraiment, se lever avant six heures pour aller arpenter le bitume pendant des mois dans le seul but de s’épuiser sur plus de 42 kilomètres un matin d’avril, franchement… Est-ce que le jeu en vaut la chandelle ?
Moi, je crois que oui. Et sans tomber dans le lyrisme… Si, tombons dans le lyrisme ! Vautrons-nous dedans, même : dans mon cas, il s’agissait de prouver, de me prouver, que j’étais capable de me fixer un objectif ambitieux, compliqué, et d’aller jusqu’au bout. La motivation, ça se fabrique, les habitudes, ça se change. Je l’ai fait, tout le monde peut le faire. Ok, la leçon de morale est terminée. Il faut que j’aille manger mes carottes râpées. See you in New York !
© Commentaires et vaticinations
Pas vu les ballons roses…
Rédigé par : sk†ns | lundi 11 avril 2005 à 13:01
Bravo. Et temps tout à fait honorable pour une première participation. Comment vont les mollets aujourd'hui ?
Rédigé par : versac | lundi 11 avril 2005 à 13:42
Félicitations,
Pour avoir fait la même chose en 97, je sais ce que cela représente, surtout le ridicule de la démarche de Goldorak pendant une semaine (mais j'ai une excuse, j'ai fait 3h35). Je me souviens surtout de ce moment de bonheur intense qu'est la vision de l'arrivée, à ce moment, c'est le plus bel instant de la vie tellement on a mal partout.
Et tant que je suis à mon premier commentaire, félicitations aussi pour ce blog iconoclaste comme j'aime (même si je ne suis pas toujours d'accord).
Rédigé par : M_Spock | lundi 11 avril 2005 à 14:11
4h21 pour une première fois, c'est pas si mal. Mais je vais tenter d'améliorer ça la prochaine fois... Et ça devrait en tenter certains, non ?
Rédigé par : Hugues | lundi 11 avril 2005 à 17:23
moi j'ai un ami de 30 ans qui est fada, mais ça ne me tente pas du tout, il faut s'astreindre à un discipline d'enfer et ça c'est pas pour moi.
je reste au golf, mais bravo quand meme.
Rédigé par : rosalie | lundi 11 avril 2005 à 20:26
Je n'ai couru qu'une fois le marathon (4h49...) et me suis promis de ne plus jamais le faire. J'ai des boules de stress dans l'estomac rien que d'y repenser!
Rédigé par : etienne | mardi 12 avril 2005 à 09:09
Oh là là! Tu m'as regonflé à blog!
Ton final (celui de la note) m'a redonné la pêche après 3 mois d'arrêt de CAP pour cause d'orteil en miette et autres joyeusetés bronchiques!
Je saute dans mes Nike et dans mon Polar!
Rédigé par : Vincent | mardi 12 avril 2005 à 10:00
No sports!
Rédigé par : Churchill | mardi 12 avril 2005 à 11:37
J'étais avec toi au milieu des drapeaux verts : mais tu m'a doublé après le mur des 30 kms !
P.S. : je marche comme godorak, mais au ralentit...
Rédigé par : Nicolas | mardi 12 avril 2005 à 13:14
ils ont parlé du coureur de 80 ans à la radio.... Si j'ai bien compris son club de supporters n'arrivait pas à le suivre!!
Rédigé par : ltcj | vendredi 15 avril 2005 à 18:39
Respect.
Allez, je me le fais en 2007... ou 8.
Non, bravo.
Quel prochain défi ? Vraiment New-York ?
Rédigé par : Vinvin | vendredi 15 avril 2005 à 20:24
C'est très bien un shoot régulier aux endorphines mais attention à la surchauffe de l'appareil locomoteur tout de même, ça vient beaucoup plus vite qu'on ne le croit. Même avec de très bonnes chaussures.
Rédigé par : Porfi | samedi 23 avril 2005 à 16:22
bravo ! entre marathoniens on peut se féliciter non? mais les km 32 à 39 je ne suis pas prête de les oublier :)
Rédigé par : la_dilettante | dimanche 24 avril 2005 à 16:38
Moi, c'est plutôt les tout derniers... Mais ça ne m'empêche pas d'envisager de faire mieux l'an prochain. Félicitations à toi aussi !
Rédigé par : Hugues | lundi 25 avril 2005 à 17:16
Bravo à vous deux !
Pour être l'épouse d'un marathonien, je sais apprécier la performance. Mais moi je ne cours pas ;-(
Mais bon j'ai arrêter de fumer sans avoir besoin de courir et sans prendre de poids !
Rédigé par : Réjane | lundi 25 avril 2005 à 18:40
je vais réalisée un rêve le 28 janvier 07, c'est faire le marathon de marrakech.
j'ai déja fais ce genre de course (4 fois)3h15à 3h30 mais je n'avais q'un enfant voir pas maintenantj'en ai deux.
je suis très stressée...(suis encore ds le coup??,vais-je y arriver?)mais bon je me lance Bon courage à tout ceux que vont en faire un
Rédigé par : Sans nom | mercredi 24 janvier 2007 à 22:37