Alain Finkielkraut se trompe, c’est sûr. Mais il ne mérite certainement pas le lynchage qui s’annonce.
Manifestement, pour exprimer sa désespérance, il vaut mieux brûler des bagnoles ou des maternelles qu’accorder des entretiens à la presse israélienne. Alain Finkielkraut, philosophe médiatique transformé en crapule raciste par la grâce de quelques lignes assassines dans Le Monde, serait bien inspiré de méditer là-dessus.
Comme tout le monde, j’avais été assez surpris de découvrir, dans mon quotidien favori, un encadré évoquant son point de vue sur le « caractère ethnico-religieux » des émeutes, l’absurdité d’une « équipe de France black-black-black » susceptible de faire « ricaner toute l’Europe », l’appel lancé aux Arabes de France à quitter le pays (« Personne ne les retient ici de force »)… Alors quoi, l’auteur de La défaite de la pensée et du Juif imaginaire, l’animateur passionné de France Culture, le défenseur acharné de l’école républicaine, le champion des Bosniaques, n’était en fait qu’un raciste, un lepéniste intello, un quasi-fasciste ? Merde alors !
Quelques clics de souris plus tard, la lecture de l’intégralité de l’interview en question me laissait songeur quant à l’honnêteté de son éditing par Sylvain Cypel, voire par la volonté du journaliste du Monde d’officialiser la dantec-isation irrémédiable du bonhomme. Considéré dans son intégralité, ce texte m’inspire de nombreuses réflexions, de nombreux désaccords, mais certainement aucun désir de me joindre aux bonnes âmes se préparant goulûment à édifier une potence en place de grève.
Clairement, et je ne me lasse pas de le répéter, Alain Finkielkraut se trompe sur la nature des émeutes, qu’il choisit d’interpréter comme la conséquence de troubles identitaires et religieux plutôt que comme la triste combinaison d’une situation socio-économique déplorable et de l’existence d’un noyau dur d’authentiques voyous dans les banlieues. Il se trompe, mais il n’est pas le seul. Et d'ailleurs, de la couverture islamo-centrée des émeutes par Libération au regard ahuri que porte le monde entier sur ces événements – de Washington à Téhéran –, l’erreur d’analyse est-elle tellement surprenante ?
Je reste moi-même convaincu qu’une élimination du chômage remettrait les pendules à l’heure, le caractère religieux des émeutes n’étant étayé par rien. Marxiste d’obédience groucho-libérale, persuadé que la marche du monde est intimement corrélée à l’état de l’économie, je ne saurais donc le suivre sur ce terrain visqueux. Donnez-nous, comme aux Anglais, un taux de chômage à 4%, et vous verrez nos banlieues en crise se métamorphoser en suburbs calmes et prospères. Vous n’y croyez pas ? Essayez pour voir. Je rembourse la différence.
Bien entendu, il est probable que les plus endurcies des canailles incendiaires demeurent, quel que soit le niveau de l’emploi, des canailles incendiaires. Certains d’entre-nous sont comme ça : ils brûlent, volent, violent et tabassent. Mais la société idéale au sein de laquelle le crime et la méchanceté auraient été abolis me paraissant une perspective encore plus lointaine que le retour au plein emploi, il faudra bien faire avec… D’autres, toujours dans ce contexte d’aisance retrouvée, resteront accessibles aux sirènes voilées des barbus de tout poil (sic). C’est comme ça, c’est la vie. De Londres à Madrid, on n’y peut rien. Enfin, rien au-delà d’un bon travail d’investigation policière. Mais ceux-là seront à la marge, constituant l’écume, the scum (la racaille ?) d’une société en état de marche. En tout état de cause, ils n’auront certainement plus la moindre vocation à représenter les « jeunes » de France, à Clichy comme à Neuilly.
Pour le reste, je ne referai pas ici l’exégèse de l’interview originale, largement commentée ailleurs. Je dirai seulement que je perçois plutôt les exagérations et les outrances effectivement proférées comme l’indice d’un vrai désarroi devant l’évolution d’une société que le philosophe ne comprend plus, accroché qu'il est à des clefs de lectures trop anciennes et avouant lui-même être « despairing » et « having lost » (being lost serait d’ailleurs plus pertinent).
Mon ami Michel B. assure que Finkielkraut voit de toute façon son propos général et universel disqualifié par une judéité trop revendiquée. Je lui répondrai que la judéité, comme n’importe quelle autre caractéristique constitutive de la personnalité de n’importe quel autre Français, ne s’accroche pas à une patère à l’entrée du saloon, avec son revolver et son stetson, avant la partie de poker. Et quand le fils du déporté demande si la France, qui a envoyé son père dans les camps, a finalement fait davantage de mal au fils du colonisé qu’à lui-même, sa question peut être entendue. De même, lorsqu’il cherche à comprendre pourquoi l’école républicaine qui lui a permis de devenir philosophe ne parvient plus à s’occuper des enfants des banlieues, son interrogation est légitime.
Finkielkraut se demande aussi pourquoi les « beurs vietnamiens », eux-aussi fils de colonisés, n’étaient pas dans les rues durant les émeutes ; il se demande pourquoi ceci, pourquoi cela… Il se pose un tas de questions, maladroitement pour un professionnel de la pensée, c’est évident. Mais ses interrogations, comme la détresse qu’il exprime devant la disparition (ou la crainte de la disparition) d’une France rêvée, magnifiée, républicaine et solidaire, porteuse de valeurs mais potentiellement remplacée par un agrégat de communautés hostiles les unes aux autres, Juifs compris, seront-elles ignorées parce qu’elles semblent émaner d’un philosophe un peu au bout du rouleau. Le danger que représente, en Dieudonné, l’apparition d’un Farakhan français, sera-t-il balayé d’un revers de main ?
Le signal de la curée semble avoir été prestement donné, le MRAP dénonçant dans le même souffle les propos d’un Alain Finkielkraut et d’un Philippe de Villiers et transformant en ordure nationaliste ce type un peu dépassé. Mais pour ses propos les plus abscons, les moins raisonnables de l’interview, il a déjà présenté des excuses et s’est expliqué un peu plus clairement auprès de son tourmenteur lui-même. Le goudron et les plumes pourraient donc être avantageusement remisés par les plus rationnels de ses contempteurs, quitte à partir à la recherche d’une autre racaille politiquement correcte.
© Commentaires & vaticinations
Expliqué un peu plus clairement. En effet, il dit dans cette ITW du monde :
"Je pense qu'il n'y a pas de lien de cause à effet entre la misère sociale réelle des quartiers et l'incendie des écoles."
Si on connecte ces propos à ceux tenus dans Haaretz, nous avons droit à un bon vieux sophisme culturaliste :
Les jeunes arabes et noirs de banlieue sont des musulmans
(Or les musulmans haissent l'occident)
Donc les jeunes arabes et noirs de banlieue haïssent l'Occident.
En d'autres termes : il est inutile de rechercher des causes rationnelles aux émeutes de banlieues puisque les émeutiers eux-mêmes sont animés par des pulsions irrationnelles (la haine...).
Finkielkraut s'explique un peu plus clairement, en effet.
Rédigé par : Jules | lundi 28 novembre 2005 à 00:00
« On pourrait avancer que la frontière qu'instaure la vigilance dans le champ intellectuel ne sépare pas les 'démocrates des 'crypto-fascistes', mais les 'dialoguistes', prêts à réfuter leurs adversaires par l'argumentation, des 'éradicateurs' qui entendent abattre et réduire au silence ceux qu'ils présument, souvent à raison, dangereux »
Elisabeth Lévy, Les maîtres-censeurs
De ce que dit Finkie, il faut retenir qu'il rejette l'analyse compassionelle ambiante qui cherche à transformer le bourreau en victime (du chômage, de l'éducation etc.).
Celui qui est éprouvé devient alors le responsable de sa peine par le jeu subtil de la culpabilisation que maîtrise bien le groucho-marxiste étatiste (un enfant de 5 ans comprendrait cela. Aller chercher une enfant de 5 ans)
Or le émeutiers n'avaient d'autres motivations que celle de faire le mal, et d'autres raisons que le plaisir de le faire. Toutes les autres explication sont collées a posteriori sur l'évènement. Il n'y a pas eu d'organisation des émeutiers mais un organisation qui a surgi de manière impulsive, le temps d'agir pour exister.
Maintenant démolir Finkie en le faisant passer pour un self-hating jew ou un néo-villieriste laissons ça aux MsM (que je conchie)
Sans vouloir te vexer 'beurs vietnamiens' ça ne veut rien dire , beur c'est reubeu.
Rédigé par : all | lundi 28 novembre 2005 à 09:35
All,
Hum, sans vouloir te vexer, "beurs vietnamiens" était l'expression volontaire d'une analogie. Je n'avais pas mis de guillemets par respect pour la sagacité du lecteur. Je viens juste de les rajouter.
Rédigé par : Hugues | lundi 28 novembre 2005 à 09:46
OK Hugues. le Lundi matin je n'accède plus au second degré (et même pas au symbolisme typographique)
Rédigé par : all | lundi 28 novembre 2005 à 11:06
Je te trouve bien assuré sur l'erreur de diagnostic... Il me semble que le phénomène ne concerne pas seulement la France, d'ailleurs. J'ai aussi fait un petit billet dimanche à ce propos: http://swissroll.info/?2005/11/27/468--
Rédigé par : François Brutsch | lundi 28 novembre 2005 à 18:32
>>> Les émeutiers n'avaient d'autres motivations que celle de faire le mal, et d'autres raisons que le plaisir de le faire.
Tels des pitbulls en liberté, ils sont très dangereux. Il faut donc les piquer.
Rédigé par : Jules | lundi 28 novembre 2005 à 22:31
François,
Le problème ne concerne pas seulement la France, dis-tu... Mais de quel problème parlons-nous ? La France est effectivement le seul pays à avoir connu de telles émeutes et son malaise socio-économique est tout de même suffisamment spécifique pour que l'on puisse s'en préoccuper avant de décréter l'espèce de changement de paradigme suggéré par Finkielkraut (soit des immigrés d'un genre nouveau, résolument inassimilables).
Remettons ce pays en marche et voyons ensuite ce qui restera à faire à la marge.
Jules,
Je suis peut-être comme All, j'ai des difficultés avec certaines formes d'humour tôt le matin. Car c'est de l'humour, j'espère...
Rédigé par : Hugues | mardi 29 novembre 2005 à 09:47
"un taux de chômage à 4%, et vous verrez nos banlieues en crise se métamorphoser en suburbs calmes et prospères. Vous n’y croyez pas ? Essayez pour voir. Je rembourse la différence."
Ca ne semble pas l'avis de P Moscovici vu à la télévison et emettant un jugement globalement négatif sur les Jobs Center.
Désesperant.
Rédigé par : Tlön | mardi 29 novembre 2005 à 18:49
Oui maintenant c'est le soir, je peux dire que c'était une forme d'humour visant à souligner certains propos.
Rédigé par : Jules | mardi 29 novembre 2005 à 23:16
Hugues, au lieu d'essayer de sauver le soldat Finkie qui, aveuglé par son a priori anti-arabe et anti-muslman, est devenu de fait le chef de file des nouveaux réacs, tu ferais mieux de te pencher sur l'hallucinante dérive droitière que subit la France en ce moment après les émeutes des banlieues. Cela me semble beaucoup préoccupant et inquiétant, non ?
Même notre play-boy gaullo-centriste de premier ministre se met maintenant à courir après Sarko, qui lui-même, depuis plusieurs mois, court après le Pen et De Villiers. Une surenchère qui prend la forme au sein des députés UMP d'un concours de propos et de propositions plus réactionnaires et racistes les unes que les autres... J'attends celui qui va proposer, au nom de la tolérance zéro, de couper une main aux voleurs de pommes... Depuis quelques semaines, le catalogue est édifiant et mériterait d'être recensé ! Un condensé de la "pensée" beauf qui envahit dangereusement les esprits...
Et je te rappelle que l'on parle du parti au pouvoir, celui qui gouverne la France en ce moment (et qui, malheureusement, la gouvernera sans doute aussi après 2007), et non d'un groupuscule d'extrême-droite.
A moins que tu ne préfères continuer à pointer l'irréalisme et la nocivité de l'extrême gauche, qui reste un mouvement de protestation et de posture, n'ayant aucune chance d'arriver au pouvoir. Si tu défends la social-démocratie, ne te trompe pas d'ennemi... Ou alors change le nom de ton blog et appelle-le : "Sarko for ever. The man who calls a cat a cat".
Rédigé par : Ta conscience de gauche | samedi 03 décembre 2005 à 14:55
Yo Jiminy Cricket,
Le temps me manque malheureusement pour rédiger les notes rendant compte des délires des Larcher, Accoyer et autres Grosdidier. Ca viendra en son temps.
Encore que... Répéter avec tout le monde ce qui tombe sous le sens ne fait pas vraiment avancer le schmilblick. Oui, la droite française est lamentable, réactionnaire, économiquement analphabète, culturellement "provinciale", volontiers xénophobe et souvent populiste. Mais il est vrai qu'elle est aussi particulièrement chiante à commenter. Et c'est précisément parce que je reste attaché à la gauche que c'est à elle que je m'intéresse et que je préfère participer, à mon microscopique niveau, à son évolution plutôt qu'à celle de la droite.
Quant au sauvetage du soldat Finkie, qui n'est ni "aveuglé par son a priori anti-arabe et anti-muslman", ni "le chef de file des nouveaux réacs", ma foi - pourquoi pas ?
Rédigé par : Hugues | samedi 03 décembre 2005 à 19:13
Bonjour
vous évoquez la "couverture islamo-centrée des émeutes par Libération" ... pouvez vous préciser, au delà de la sonorité flatteuse ? je lis Libé très régulièrement et j'ai plutôt eu un sentiment inverse !
merci
Rédigé par : marco | mardi 13 décembre 2005 à 14:53
Marco,
Je ne vais pas m'étendre trop longtemps là-dessus mais vous pouvez lire ça :
http://phnk.com/blog/?2005/11/12/349-libe-senfonce
Rédigé par : Hugues | mardi 13 décembre 2005 à 15:11
??? c'est censé être un argument ? désolé, le lien que vous donnez m'a conduit vers un espèce de défouloir assez infantile contre ce "journal de chiottes" et toute cette "presse de merde" ... çà ne mène pas très loin si je peux donner un avis, et encore une fois si on regarde l'ensemble des articles de Libé au lieu de monter une couv' en épingle (avec pas mal de mauvaise foi qui plus est) j'ai plutôt le souvenir d'un certain équilibre et sang-froid au milieu de la panique médiatique générale .. enfin chacun ses cibles, hein, çà occupe
Rédigé par : marco | mercredi 14 décembre 2005 à 10:58
Ma foi, je n'ai pas cherché moi-même à constituer un dossier d'accusation de Libé sur ce thème. Dans mon papier, je faisais référence de manière totalement anecdotique à la couleur générale de la couverture des émeutes par Libé.
Le lien conduit juste vers un exemple qui me semble frappant mais que vous interpréterez comme vous voulez.
Rédigé par : Hugues | mercredi 14 décembre 2005 à 11:22
.. CQFD, c'est bien pour celà que je continue à lire la presse papier (en plus de ce qu'on peut glaner sur Internet) : les auteurs y réfléchissent un tout petit peu plus que dans la "blogosphère" avant d'écrire ce qui leur passe par la tête ! ceci dit j'apprécie votre blog, même si je suis en désaccord avec votre défense de AF ...
Rédigé par : marco | mercredi 14 décembre 2005 à 11:43