Un historien britannique vient d’exhumer une lettre écrite par Tony Blair il y a 25 ans. Visionnaire, le jeune militant travailliste prenait déjà fait et cause pour Ségolène...
Mais que faisaient donc les graphomanes convaincus d’avoir résolu l’équation qui régit le monde avant l'invention des blogs ? Ils écrivaient des lettres, pardi ! Et pas des cartes postales à deux sous, ces quelques lignes banales griffonnées au dos d’une photo des calanques de Cassis et expédiées, la veille de la rentrée, par pure et vaine politesse à l’endroit des collègues de bureau... Non, de vraies lettres à l’encre sur feuillets normalisés ― fruits de leur réflexion sur les affaires de la Nation, la vie, la mort, le prix du gaz...
Las, aucun Google, aucun Exalead, ne se chargeait alors d’archiver ces vaticinations, lesquelles, une fois lues, finissaient généralement à la corbeille sans même bénéficier du tri sélectif, les poubelles à couvercle jaune étant encore réservées aux romans de SF et aux habitants du canton de Lausanne. Certaines de ces missives, néanmoins, échappaient miraculeusement à la destruction, pour peu qu’un destinataire prévoyant se soit avisé de les placer en lieu sûr. C’est d’ailleurs le cas du texte-fleuve, véritable « note » au sens blogosphérique du terme, adressé par un Tony Blair de 29 ans à Michael Foot, alors leader du parti travailliste, et récemment exhumé par un historien britannique n’ayant apparemment rien de mieux à faire.
A l’époque des faits ― nous sommes le 28 juillet 1982 ― les temps sont durs pour l’ex-bassiste des Ugly Rumours : candidat du Labour à une législative partielle dans un patelin du nord-est de Londres, il vient de se faire étriller au profit d’un obscur Libéral-Démocrate. Dépité (il s’agit déjà de son second échec), il envisage même de reprendre sa carrière d’avocat. Il faut dire que nous sommes en pleine Thatchermania, la fille de l’épicier venant tout juste de bouter les Argentins hors des Falklands. Une Grande-Bretagne en déclin économique accéléré, lestée de plus de 3 millions de chômeurs, politiquement isolée du reste de l’Europe, a en effet décidé de confier, faute de mieux, son destin à la Dame de fer ― sorte de Sarkozy en tailleur Marks & Spencer [précision à l’attention des jeunes lecteurs. NDLR].
Et quels sont les thèmes abordés par notre comrade aux grandes oreilles dans cette missive de 22 pages manuscrites ? Le marxisme, la dangereuse dérive trotskiste du Labour et le darwinisme social de la droite. Sur le marxisme, il n’est d’ailleurs pas aussi négatif qu’un Mélenchon pourrait le croire. Lecteur attentif du Capital et du Manifeste, il lui concède de nombreux aspects attachants. « Je l’ai trouvé éclairant de tant de façons ; en particulier, ma perception de la relation entre les individus et la société dans laquelle ils vivent en a été altérée de manière irréversible », assure-t-il sans tourner autour du pot.
Pour autant cet enthousiasme est largement tempéré par le sentiment que, « ultimement », la propension du père Karl à intégrer « toutes les facettes de l’existence dans sa philosophie » le rend franchement « étouffant ». « Le problème avec le marxisme est qu’il est parfait si vous en faite votre serviteur politique mais terrible s’il devient votre maître politique », déplore-t-il d’ailleurs.
Car si une chose inquiète Tony, c’est bien « l’entrisme » des trotskistes de « Militant », un courant du Labour auquel Olivier Besancenot aurait sans doute appartenu s’il avait été salarié de la Royal Mail plutôt que de La Poste. Dénonçant le « vrai rôle » de cette « secte », Blair en propose l’éviction pure et simple en alertant Michael Foot sur « l’arrogance » et « la conviction de détenir la vérité d’une extrême-gauche profondément repoussante du point de vue d’adhérents ordinaires »... Refusant de tolérer l’existence « d’un parti dans le parti », un parti d'ailleurs « inspiré par Lénine et Trotsky » et hostile à l’idée de construire « le socialisme via le Parlement », il réfute l’idée selon laquelle les Tories les plus réactionnaires ne pourront être vaincus que par leurs équivalents gauchistes...
De fait, le jeune ambitieux est déjà en train d’élaborer, l’air de ne pas y toucher, les fondements de la Troisième voie, renvoyant dos à dos une droite « barbare » (« Le populisme rigide de Thatcher », son acceptation « égoïste » et « cynique » d’une société darwinienne où ne survivraient que les plus aptes) et les Mélenchonelli du travaillisme, il brosse le portrait d’un socialisme moderne et dynamique excluant tous les conservatismes. Mais il se fait aussi, paradoxalement, plus ségoléniste que blairiste lorsqu’il se mêle de chanter les louanges de Tony Benn (un Mauroy pré-1983), vilipendant « la droite du Labour » pour sa « faillite politique ». Clairement, le Blair d’aujourd’hui ne prendrait plus de telles précautions ; Ségo, elle ne s’autorise toujours pas à sauter au plafond lorsque la renationalisation d’EDF ou quelque autre inanité du Projet est évoquée : elle préfère éluder la question. Bah, elle n’en est sans doute qu’aux premiers stades de son processus de blairisation...
Moi-même, seul blairiste officiel du PS, j’ai tendance à me féliciter du contenu de cette lettre (dont je recommande d’ailleurs la lecture à ceux d’entre vous qu’un tel pensum ne rebutera pas), tout comme je me réjouis, d'une certaine manière, des similitudes entre la France d’aujourd’hui et la Grande-Bretagne d’hier. Evidemment, ces similitudes n’auraient rien de glorieuses si nous nous contentions de rejouer, sans l'adapter, une pièce vieille d'un quart de siècle ― Ségolène en Blair, Sarkozy en Thatcher. Mais l’Histoire ne repassant généralement pas les mêmes plats, la période qui s'ouvre a toutes les chances d’être fertile en rebondissements imprévisibles. En tout cas, force est de constater que les contempteurs de la belle du Poitou l'accusant de s'être déclarée prématurément auront au moins raison sur ce point : 25 ans de campagne, c'est gonflé !
© Commentaires & vaticinations
en dehors de votre admiration pour le beau petit gars chevelu de la photo et notre madone, j'espère tout de même que nous ne sommes pas tout à fait dans la situation de l'Angleterre de l'époque. Illusions ?
Rédigé par : brigetoun | vendredi 16 juin 2006 à 18:49
Je pense que ça y ressemble oui, ayant connu les deux situations. Et je suis peut-être légèrement monomaniaque sur ces questions, OK, mais elles me semblent assez cruciale pour le justifier.
Autrement, l'histoire de la découverte de cette lettre est marrante. Toute la presse britannique est dessus. Un peu comme si une vieille lettre de Chirac, découverte la semaine dernière, nous apprenait que tout son incroyable parcours était le résultat d'un plan de carrière, fracture sociale, dissolution, frais de bouche, 21 avril et 29 mai compris...
Rédigé par : Hugues | vendredi 16 juin 2006 à 20:48
ça c'est pas mal :
"There is an arrogance and self-righteousness about many of the groups on the far left which is deeply unattractive to the ordinary would-be member: and a truly absurd gulf between the subject matter and language of the legion of pamphlets they write, and the people for whom the pamphlets are supposed to be written. "
Rédigé par : coco | samedi 17 juin 2006 à 00:18
Et ça :
" it is nonsense to say that Militant or any other group has a right to exist in the Party; or that it is undemocratic to set limits to their activities. Quite the opposite; if a sect is acting outside the constitution and pursuing aims contrary to the principles of that constitution, it would be undemocratic not to stop them."
Hollande et les autres auraient dû lire ça avant de pardonner Fabius
Rédigé par : coco | samedi 17 juin 2006 à 00:23
"The argument about a "purge" involves a sleight of hand. It is designed to lose the particular point at issue, by submerging it in generality. The argument is not about "a purge". It is about Militant: what it does, what its aims are and whether they breach the constitution. "
YES MAN
Rédigé par : coco | samedi 17 juin 2006 à 00:24
"Car si une chose inquiète Tony, c’est bien « l’entrisme » des trotskistes de « Militant », un courant du Labour auquel Olivier Besancenot aurait sans doute appartenu s’il avait été salarié de la Royal Mail plutôt que de La Poste. "
Jospin et Hollande ont toujours la même obsession. Pourquoi croyez-vous qu'il ait fallu attendre une prise en charge par l'état de 66% de l'adhésion pour les électeurs imposables (et eux seulement) pour que le PS lance une campagne d'adhésion ?
Rédigé par : Golfeur | samedi 17 juin 2006 à 11:21
Merde, Blair a lu le capital ET IL S'EN ELOIGNE ? Mais comment a t on pu contempler de si près la Vérité et finalement tenter d'amender à la marge le capitalisme anglosaxon ? Ce garçon est vraiment un traitre.
Par contre je m'inscris en faux par rapport aux propos de Golfeur : l'adhésion à 20 balles n'est pas du tout déductible, au contraire de l'adhésion à l'ancienne tarif syndicale (0.5-1% du salaire quand même).
Merci d'avoir dégotté ce texte. Et puis c'est toujours bien écrit chez toi Hugues, c'est vraiment plus agréable à lire...
Rédigé par : Guillermo | dimanche 18 juin 2006 à 15:20
Le Code Général des Impôts, article 200 (qui réglemente les dons et versements aux partis politiques.) précise :
3. Ouvrent également droit à la réduction d'impôt les dons, prévus à l'article L. 52-8 du code électoral versés à une association de financement électorale ou à un mandataire financier visé à l'article L. 52-4 du même code qui sont consentis à titre définitif et sans contrepartie, soit par chèque, soit par virement, prélèvement automatique ou carte bancaire, et dont il est justifié à l'appui du compte de campagne présenté par un candidat ou une liste. Il en va de même des dons mentionnés à l'article 11-4 de la loi nº 88-227 du 11 mars 1988 modifiée relative à la transparence financière de la vie politique ainsi que des cotisations versées aux partis et groupements politiques par l'intermédiaire de leur mandataire.
En quoi l'adhésion au PS à tarif réduit ou non échappe-t-elle à cette disposition ?
Rédigé par : Golfeur | dimanche 18 juin 2006 à 19:56
Guillermo,
Merci, tout le plaisir est pour moi.
Golfeur,
Es-tu sérieusement en train de défendre l'idée que c'est la possibilité de déduire une fraction de ces 20 euros qui a conduit à une telle vague d'adhésions ? Finalement, on a peut-être trouvé le pendant droitier de Hollande : celui qui n'aime pas les pauvres !
Rédigé par : Hugues | lundi 19 juin 2006 à 18:35
Je constate surtout qu'un adhérent PS (imposable) garde la possibilité de payer 120 E. son adhésion, s'en faire rembourser 80 par l'état, et donc, ne voir son adhésion ne lui coûter que 40 E., soit autant qu'auparavant.
J'ose imaginer qu'en théorie, pour des supporters un tant soit peu convaincu de la clairvoyance de la vision du PS, même les 40 E. restant seront vite amortis par la propérité économique qui déferlera sur le pays dès que Chirac sera en prison, pardon, aura quitté le poste de président de la république.
Rédigé par : Golfeur | lundi 19 juin 2006 à 18:54
D'accord avec l'idée qu'EDF et GDF doivent être publiques et que le secteur de l'énergie ne doit pas être confié à des intérêts privés. Et pourquoi y aurait-il une fatalité à ce que les entreprises publiques ne soient pas bien gérées ? Il faut oser le "projet socialiste", Ségolène, ne sois pas timide, assume !
Rédigé par : Arkeo | mardi 20 juin 2006 à 00:51
Excellent, je pense qu'il y a beaucoup dans ce qu'il sera dans cette lettre. J'ai beau être un contempteur de la belle du Poitou, j'attends toujours une relève à la hauteur de ce qui a commencé en 1994 au Labour. Au-delà du parcours individuel, c'est tout un party que Tony fera évoluer.
Rédigé par : nucnuc | mardi 20 juin 2006 à 12:44
Oui mais bon Lausanne c'est pas un canton :-)
Rédigé par : L'helvète | mercredi 21 juin 2006 à 10:11
Salut camarade,
tu n'es pas le seul blairiste du PS. Avec Bockel à Mulhouse, je le suis à Angers dans le Maine-et-Loire.
D'ailleurs, j'ai fais un blog pour défendre sa motion lors du congrès du Mans eb novembre 2005, et on a fait un très bon score à Angers
Rédigé par : Manu | vendredi 22 décembre 2006 à 17:44