Mon mépris pour les feux rouges ne fait pas de moi l'avocat idéal d'une élimination de l'amnistie électorale ― une micro-exception que le monde ne nous envie pas. Mais, assumant sans regimber les suites pécuniaires de mes turpitudes cyclistes, je ne suis pas le plus mal placé pour en parler...
Chaque élection présidentielle est l’occasion, pour le nouvel occupant de l’Elysée, de s’attirer la sympathie des piliers de bistrots n’ayant pas voté pour lui en effaçant l’ardoise de leurs infractions au code de la route. Cette pratique, censée s’inscrire dans une certaine « tradition républicaine », pourrait sembler totalement anachronique à l’heure du permis à points et de la lutte contre les « incivilités » au sens large. Et force est de constater que, d’échéance suprême en échéance suprême, le champ de l’amnistie post-électorale s’est réduit comme une peau de chagrin depuis son introduction, en 1958 (date qui, incidemment, indique à quel point la fameuse « tradition » est loin de remonter jusqu’à la nuit des temps).
Les premières années, les choses se passaient à la bonne franquette : stationnement illégal, conduite en état d’ivresse, dépassement de vitesse ou écrasement de piéton n’étaient appréciés qu’en tant qu’effets secondaires bénins d’une civilisation automobile décrite comme l'étape ultime du développement humain. En conséquence, rien ni personne ne s’opposait au passage par profits et pertes des procédures engagées à l’encontre d’automobilistes suffisamment crétins pour s’être laissés coincer par une maréchaussée particulièrement bienveillante.
En 1974, Valéry Giscard d’Estaing allait pourtant faire une première entorse à la pratique en décidant que, non, vraiment, provoquer un accident mortel après avoir bu n’était pas amnistiable. Conduire bourré, passe encore ; écrabouiller une petite vieille, d’accord. Mais les deux en même temps, pas question ! Las, il fallut encore attendre la réélection de Jacques Chirac, en 2002, pour que la mesure soit enfin limitée aux seuls PV de stationnement ; et se placer dans la perspective de la présidentielle 2007 pour que l’élimination pure et simple du concept soit envisagée par certains des candidats...
Le ségoliste que je suis a du mal à l’accepter, la belle du Poitou ne fait pas partie de ce petit groupe d’iconoclastes. Et si Nicolas Sarkozy et François Bayrou, interrogés par Auto Plus, se sont clairement exprimés contre l’amnistie, la candidate socialiste est restée dans le flou, précisant que sa « réflexion se poursuivait ». Du côté des franchement « pour », on ne retrouve d’ailleurs plus que les défenseurs attitrés des « petites gens », convaincus que la démagogie est le seul moyen de rester en phase avec un électorat présumé incapable de réfléchir hors des dogmes.
Olivier Besancenot, Marie-Georges Buffet et Jean-Marie Le Pen, questionnés sur ce thème, se sont donc prononcés en faveur du pardon des péchés motorisés, y ajoutant toutefois, chacun dans son style, une petite précision bienvenue. Ainsi, pour le facteur joufflu, le stationnement payant participant logiquement de la lutte des classes en frappant riches et pauvres de la même manière, il est préférable de ne punir que les excès de vitesse. La candidate de la gauche antilibérale réduite aux acquêts, elle, reste hostile aux affreux personnages s’appropriant les emplacements réservés aux handicapés, le stationnement sur un passage pour piétons, par exemple, ne lui semblant pas aussi condamnable... Quant au borgne, plus giscardien que jamais, ce qui n’est pas étonnant puisqu’il se définit désormais comme un homme du « centre droit », il prône carrément le retour à la version 1974 de l’amnistie, toute infraction routière n’entraînant ni la mort ni l’hospitalisation d’une victime devant être effacée...
Le concept de « contravention » n’a jamais été présenté, en France, comme la conséquence logique du non-respect d’une règle ― règle pourtant établie au nom du bien commun. Au pays de Montesquieu, l’esprit des lois reste lettre morte et le PV généralement perçu comme une brimade, voire comme le moyen diabolique de remplir les caisses d’un Etat-sangsue. Que l’introduction du stationnement payant en ville résulte d’une réflexion globale sur l’urbanisme, la pollution, la mobilité ou la gestion de l’espace collectif ne fait tout simplement pas partie de l’équation. Et d'ailleurs, pourquoi les Français auraient-ils une autre attitude dans ce domaine, quand le premier élu local venu se fait fort de faire « sauter » vos « prunes » sur simple demande (« A charge de revanche, évidemment, cher administré ! »).
Mais ce clientélisme ― comme l’entretien de l'ignorance sur le sens du respect de la règle ― ne serait rien s’il n’avait pour conséquence de peser négativement sur les statistiques de la sécurité routière, chaque échéance présidentielle étant attendue avec la même impatience par les chauffards que l’ouverture de la chasse par mon ami Christophe du P.
Jacques Chirac, dont on connaît le bilan, ou plutôt l’absence de bilan, ne laissera derrière-lui, au-delà d'un musée potentiellement éponyme, qu’un seul résultat positif : la baisse de la mortalité routière par la mise en place d’une politique d’information des conducteurs et de répression des comportements dangereux. 43% de baisse des accidents mortels et le passage sous le seuil des 5 000 victimes en 2005, ce n’est pas rien ! Et son successeur à l’Elysée, s’il a du pain sur la planche dans à peu près tous les domaines, ferait bien de préserver cet acquis-là. Ségolène, si le vacarme de la circulation boulevard Saint-Germain ne t’empêche pas d’entendre cette suggestion hautement participative à ton effort de campagne : on your bike !
Jacques Chirac a été réélu en 2002, cher Hugues.
Rédigé par : Eolas | mercredi 10 janvier 2007 à 18:11
Je vous cite :
"ce clientélisme ― comme l’entretien de l'ignorance sur le sens du respect de la règle"
Ce propos m'inspire un commentaire anti-français dirons certains, mais voilà : le 31 décembre dernier, en voiture, sur le périphérique, voilà t'y pas qu'un convoi enjoint aux véhicules des manants de s'écarter séance tenante, avec force sirènes et girophares.
dans un premier temps nous nous disons qu'il s'agit peut-être d'un transport de prisonniers en urgence, d'une femme en train d'accoucher, etc, etc bref, d'une demande légitime.
Après quelques secondes de spéculation au sein de notre voiture, nous sommes vites renseignés quand nous voyons l'objet du convoi nous dépasser : il s'agit d'une grosse berline noire qui prend la bretelle suivante qq minutes plus tard.
Le 31 décembre, donc, certains notables disposant d'un pouvoir suffisant se croient encore, au 21ème siècle, autorisés à mobiliser la police et à enfreindre les limitations de vitesse pour arriver à l'heure à leur réveillon.
C'est ce genre de petites "exceptions" qui me rendent les élites à l'occasion franchement détestables.
Rédigé par : coco | mercredi 10 janvier 2007 à 18:22
Eolas,
C'est rectifié mais tu arrives comme ça, sans prévenir, en pleine phase de relecture...
Coco,
Tu oublies qu'il pouvait également s'agir :
a) d'un politique transféré d'urgence en prison
b) d'une politique enceinte en train d'accoucher
Rédigé par : Hugues | mercredi 10 janvier 2007 à 18:23
C'est vrai, je suis mauvaise langue...
Rédigé par : coco | mercredi 10 janvier 2007 à 18:52
Il me semble avoir compris que l'intéret premier de ce type d'amnisitie est de cloturer un certain nombre de litiges que notre administration ne sait pas règler convenablement (du genre des relances du trésor pour quelques centimes d'euros 'oubliés' lors d'un paiement par chèque).
Je ne suis pas du tout convaincu par l'amnistie pour les amendes de non-paiement de son parcmètre, mais il ne me parait cependant pas ridicule, de temps en temps de vouloir remettre un certain nombre de compteur à zéro en 'oubliant' certains litiges pénibles à résoudre et sans enjeu véritable.
Rédigé par : JaK | mercredi 10 janvier 2007 à 22:53
Olivier Besancenot a raison. Le prix unique du stationnement est une injustice flagrante et les horodateurs, en ne tenant pas compte de la différence de revenus entre automobilistes, entérine le principe d'une inégalité de classe révoltante.
A contrario, il est raisonnable de se concentrer sur les excès de vitesse, généralement commis par des bourgeois propriétaires de puissants véhicules. Les ouvriers, de leur côté, ne possèdent souvent que de petites voitures incapables de dépasser la vitesse limite.
Rédigé par : Léon T. | jeudi 11 janvier 2007 à 10:14
Il est vrai que dépasser le 50 en ville n'est pas à la portée du premier véhicule venu.
Rédigé par : SHB | jeudi 11 janvier 2007 à 12:54
Dans un tas de pays, les PV sont informatisés. Les flics de la circulatio utilisent des sortes de petits Palm et téléchargent le contenu de leur machines en rentrant au poste. Mais en France on refuse d'utiliser ces machines pourtant plus efficaces, plus productives et moins couteuse pour une raison unique : tant que le circuit des amendes papier reste archaïque, il est possible d'intervenir et de faire sauter la "prune", comme vous dites. C'est pourquoi seuls un tiers de pv soont effectivement payés à Paris. Et les élus souhaitent que ça reste comme ça pour préserver leur pouvoir d'accorder des indulgences.
Rédigé par : Gilles | jeudi 11 janvier 2007 à 15:27
En tout cas, le porte-parole de ta dulcinée vient d'annoncer que les PV seraient bel et amnistiés :
http://tempsreel.nouvelobs.com/speciales/politique/elysee_2007/20070111.OBS6559/julien_dray_prometune_loi_damnistie_sur_les_pv.html
Rédigé par : Pierre Kiroul | jeudi 11 janvier 2007 à 18:33
Petite observation:
les candidats issus des "ouistes" (Sarko, Bayrou) sont contre le maintien de l'amnistie routière, les partisans issus des "nonistes" (Le Pen, Besancenot, Mme J'aienviededire-Gravédanslemarbre) sont pour. Ségo, qui fédère des oui et des non, se donne le temps de la réflexion... Il y a sûrement un rapport.
Rédigé par : melchior griset-labûche | jeudi 11 janvier 2007 à 21:02
Et (soupir) en Belgique, les petites infractions de parking sont de plus en plus sous-traitées à des sociétés de vigiles privées qui n'ont pas d'états d'âme... Mais c'est vrai qu'ici nous n'avons pas vraiment d'amnisties présidentielles - chez nous c'est plutôt ad ogni morte di papa ou mieux vaudrait dire di re... Petite anecdote peut-être intéressante, les contraventions sont perçues par notre Etat fédéral, et les communes où se déroulent ces infractions terribles n'en reçoivent que schnoll ; ces dernières ont donc dû créer - engineering créatif oblige - des tarifs de stationnement différenciés. Quoi qu'il en soit, je suis tout de même reconnaissant pour une fois à Chichi d'avoir tordu le bâton et d'avoir fait en sorte que le nombre de morts sur place dans les accidents de circulation soit passé sous la barre des 5000 l'année dernière, comme dit précédemment. Il aura au moins réduit la fracture accidentelle.
Rédigé par : cdc | jeudi 11 janvier 2007 à 21:57
Cela dit, j'ai adoré le commentaire de Léon T... Sans parler de celui de Melchior ! keep 'em comin'
Rédigé par : cdc | jeudi 11 janvier 2007 à 22:32
Le tarif de base devrait etre indexé sur les revenus (comme en Suisse, parait-il), ce serait plus équitable. 70 E ne représentent pas la meme chose quand on gagne 700 E et quand on en gagne 4000.
Rédigé par : Lory Calque | jeudi 11 janvier 2007 à 23:30
Eponyme : Celui, celle, ce qui donne son nom à quelque chose ou à quelqu'un. C'est donc JC qui est potentiellement éponyme et pas le musée.
Rédigé par : Monsieur Prudhomme | mercredi 17 janvier 2007 à 13:04
Et Eponine, c'est la fille des Thénardier.
Rédigé par : Madame Prudhomme | mercredi 17 janvier 2007 à 15:26
Bonsoir,
Je viens de tomber sur ce billet. Il m'a beaucoup amusé car ayant sauté les premieres lignes pour aller directement dans le vif du sujet, on se rend compte rapidement que la personne ayant rédigé ce billet ne doit pas faire plus de 10kms par jour en voiture. Force est de constater que c'est bien pire nous sommes en présence d'un cycliste qui fustige le code de la route non adapté au cycliste. Il faut se réveiller le code de la route est mal adapté aux motos, aux voitures modernes, aux vélos, aux personnes agées, aux personnes ne prenant la voiture que le weekend etc... Maintenant l'égalité c'est aussi ça. Les mêmes règles pour tous (cela inclus le même tarif de PV pour les riches comme pour les pauvres). Enfin il me semble que le processus d'amende n'est pas industrialisé (utilisation de PDA etc...) pour occuper tout ces policiers...
Maintenant pour beaucoup de personnes le permis est source de revenue (indirectement). Les infractions liés au code de la route sont souvent mal apprécié et non jugé dans leur contexte. On a parfois vraiment la sensation d'être pris pour des pigeons
et de participer à la dette de l'Etat.
Je vous laisse à votre masturbation intellectuelle.
Adrien
Rédigé par : Adrien | jeudi 29 mars 2007 à 01:24