Le discours de Villepinte marque la reprise en main, par Ségolène, d'un débat phagocyté par l'esbroufe sarkozyste. Il trace aussi les contours de ce que donnerait un blairisme « à la française ».
Le staff de campagne du PS m'avait spontanément abonné, au même titre qu'une poignée de blogueurs jugés aptes à faire avancer la cause, à sa mailing list pour « VIP ». Et j'appréciais vivement d'être informé, à chaque nouvelle agression UMP-iste, de la répartie cinglante concoctée par le camarade Julien Dray.
Bon, à la vérité, les fulgurances de mon confrère-diariste étaient loin de m'être devenues indispensables. Mais d'en avoir été brutalement et inexplicablement privé, il y a quelques jours, était pour le moins intriguant. La championne de la démocratie participative avait-elle modifié sa stratégie ? Percevait-elle, désormais, les blogueurs comme un risque plutôt que comme un atout dans la fabrication de l'information ? Qui sait... Un mail adressé au ségoteam sur ce thème étant resté sans réponse, je me bornerai à ce constat : je ne reçois plus aucune information, ni aucune sollicitation à me rendre ici ou là ...
Mon engagement aux côtés de la belle du Poitou n'étant heureusement pas subordonné à un tel traitement de faveur, je n'allais pas laisser cette pénurie d'invitations individuelles mettre en péril ma mission de conscientisation des masses. C'est donc en tant qu'adhérent « de base » du PS que j'empruntais, dimanche après-midi, la ligne D du RER pour rallier Villepinte en compagnie d'une petite quinzaine de milliers de supporters (selon la police), histoire d'y entendre le gospel de ma candidate.
Le vaste hangar sans âme de ce centre d'expositions commerciales n'était pas, a priori, le lieu idéal de la relance d'une campagne quelque peu essoufflée. Et l'assistance encore clairsemée, à mon arrivée, n'était pas non plus de nature à me rassurer sur la capacité de Ségolène à défier le showman de la place Beauvau sur son propre terrain. Le Hall allait pourtant se remplir rapidement ― et l'ambiance se réchauffer au même rythme ― dissipant mes inquiétudes. Mon retour à ce statut de militant anonyme, pour autant, risquait de m'empêcher d'approcher des zones les plus stratégiques : la scène, les sièges réservés aux éléphants et, last but not least, l'estrade prévue pour Ségolène elle même. J'allais donc, ignoblement, exciper de ma qualité de journaliste pour franchir ces barrières qui, cruelle intrusion du réel dans une manifestation promouvant l'ordre juste, finissent toujours par s'ériger entre haves et have-nots.
Du côté des haves, justement, on se bousculait au portillon. Et si Lionel Jospin n'avait pas été, à nouveau, retenu par quelque obligation familiale totalement incontournable, ou Jean-Luc Mélenchon bloqué à Caracas par la nationalisation inopinée des aéroports vénézuéliens par son ami Hugo, c'est l'intégralité de l'équipe première qui aurait pris place face à la scène. Strauss-Kahn, Hollande, Fabius, Aubry, Lang, Guigou, Mauroy, Rocard... Même les cousins pauvres du PRG et du MRC, Baylet et Chevènement, avaient fait le voyage de Canossa. Et Taubira, et Huchon, et Razzye Hamadi, ex-pourfendeur de Ségolène aujourd'hui sous le charme... Bref, comme le chantait Aznavour en de moins heureuses circonstances, ils étaient venus, ils étaient tous là. Franchement, ça faisait plaisir à voir. Oh, bien sûr, la mine sombre de Lolo et les paupières lourdes de DSK (digestion difficile, manque de sommeil, désintérêt ?) en disaient long sur le ressentiment habitant encore les deux anciens adversaires de l'impétrante. Mais, hey, qui n'a pas ses petits soucis ?
Bah, de minuscules soucis, en effet, face à l'ampleur du discours que devait prononcer Ségolène, courtesy of Erik Orsenna, dit-on, mais aussi de Simone, Céline, Jean-Pierre, Balthazar ou Kader, soit les milliers de contributeurs aux débats participatifs de ces derniers mois. Car j'ai l'air de rigoler, comme ça, mais en tant que think tank officieux du ségolisme, je n'ai qu'à me réjouir du résultat de cette précampagne étonnante et, surtout, de l'émergence d'une social-démocratie aux contours inédits.
Tout à déjà été dit ou écrit, depuis hier, sur cet assemblage de propositions tous azimuts. Susceptible de conduire la France à la faillite par excès de dirigisme socialo-communiste selon les uns, jetant le pays sous la coupe des exploiteurs ultranéolibéraux mondialisés selon les autres, il est effectivement difficile à « placer », ce projet. Et quoi, comment interpréter un programme condamnant à la fois le centralisme jacobin d'une administration pléthorique et la crapulerie de patrons sans éthique ? Comment faire entrer dans un cadre classique l'exigence d'un environnement favorable aux entreprises et la protection des plus faibles ? Comment, enfin, digérer la condamnation sans appel de la violence des quartiers et la détermination à en comprendre les causes ? Indubitablement, un Nicolas Demorand n'y retrouverait pas ses petits... Mais pour ma part, je me sens plutôt à l'aise dans cette esquisse d'une société de stakeholders, construction blairiste à peine pondérée par notre propre habitus gaulois ― comme (ne) dirait (pas) Bourdieu... En tout état de cause, la gauche avait besoin de cette journée, de ce discours enthousiaste et optimiste ; elle avait besoin de se voir rappeler qu'accepter les réalités du monde n'est pas le corollaire de l'impuissance politique.
Mais il ne faudrait pas, au final, surestimer la capacité de Ségolène à transformer les gens ou, à tout le moins, à les transformer rapidement. Passant par les toilettes du Hall avant le discours et remarquant, bien malgré moi, que les militants n'en utilisaient pas les lavabos, j'ai pu constater que deux heures d'éducation à l'ordre juste n'avaient eu aucun effet sur ces comportements à l'heure du départ... Encore que ce genre de détail soit plutôt de nature à rassurer mes amis Raphaël M. et Cyceron, également de la fête ce dimanche, ces deux-là se méfiant de la dimension « ordre moral » et « hygiénisme » du ségolisme quand, de toute évidence, ce danger-là est assez lointain. Du blairisme « à la française », on vous dit !
© Commentaires & vaticinations
Cela meriterait bien un lien vers la serie des "petites habitudes francaises", serie geniale qui m'avait fait decouvrir votre blog, a l'epoque.
Rédigé par : Matthieu | lundi 12 février 2007 à 23:11
putain, j'ai jamais pu blairer les mecs qui sont pas clean dans les toilettes de la boite où je bosse !!
clairement le PS c'est pas pour moi.
Rédigé par : mowglii | lundi 12 février 2007 à 23:19
Ces observations pipi-caca sont vraiment tout ce que tu trouves à raconter sur les 100 propositions? On t'a connu plus enthousiaste.
Rédigé par : Poil de lama | lundi 12 février 2007 à 23:44
Si je comprends bien, la seule chose qu'il y avait à retenir de ce discours, c'était l'ambiance. Effectivement, aucune ligne directrice, aucune mesure phare, pas même un slogan. Avec ça, les militants PS vont avoir du mal à délivrer la bonne parole sur les marchés.
A force de vouloir en donner à tout le monde, tout ce qu'on risque c'est d'entendre en échos des et moi ? et moi ? et moi ?
Rédigé par : malakine | lundi 12 février 2007 à 23:53
Arf, tu as vraiment des perplexités étonnantes Hugues, que je ne résiste pas à relever.
comment interpréter un programme condamnant à la fois le centralisme jacobin d'une administration pléthorique et la crapulerie de patrons sans éthique ? Mais c'est bien simple : comme l'exemple d'un discours très classique de libéralisme moralisateur et psychologisant, typique Parisot et consort (Ah ils ont bon dot, les méchants patrons voyous, heureusement qu'ils sont là...).
Comment faire entrer dans un cadre classique l'exigence d'un environnement favorable aux entreprises et la protection des plus faibles ? C'est encore plus simple, et plus classique : ça s'appelle la charité patronale. On peut ne pas aimer cela.
Quant à sa volonté (?) de comprendre les violences sans les exonérer, je distingue assez peu l'originalité d'une telle posture. Sauf à la constraster avec celle de Sarkozy. Evidemment...
Bref, toujours la bonne vieille stratégie des straw men, des fausses ironies et des théorisations artificielles. Cela va finir par se voir. Peut-être. J'espère.
Rédigé par : EL | lundi 12 février 2007 à 23:56
Mathieu,
Non, je ne crois pas. Nous sommes là dans le domaine du politique, soit celui de la "grande" exception.
Mowglii,
Je ne pense pas que les choses aient été très différentes au raout de l'UMP. Il y a tout de même des choses qui semblent nous réunir au-delà des clivages.
Poil de lama, Malakine,
Les 100 propositions, elles sont là :
http://www.marianne2007.info/Toutes-les-propositions-du-Pacte-presidentiel-de-Segolene-Royal_a730.html
Je n'allais tout de même pas les détailler une par une pour les noter. Ce blog n'est pas ni l'organe central du parti, ni même un lieu d'information. C'est l'endroit où je donne mon avis, mon sentiment sur ceci ou sur cela sans obligation ni contrainte. Mais quoi qu'il en soit, je n'arrête pas, depuis quelques mois, d'expliquer ma position. Il y a sur ce blog je ne sais combien d'articles spécifiquement consacrés à tel ou tel sujet sur l'école, la fac, la fiscalité, etc. mais chaque nouveau papier génère ses commentaires me reprochant de ne pas dire autre chose que ce je dis.
Enfin, j'imagine que c'est la rançon du succès, comme dirait ce SDF de luxe qu'est devenu Johnny.
El,
Mais non, ces contradictions supposées ne l'étant pas de mon point de vue, elles ne me laissent absolument pas perplexe.
Mais il me semble que j'avais déjà préempté tes arguments en considérant que, quoi que Ségolène dise, elle serait considérée comme une terrible socialo-communiste d'un côté et le suppôt du grand capital de l'autre.
Rédigé par : Hugues | mardi 13 février 2007 à 09:31
Oui enfin bon. J'avoue avoir été moins effrayé que je ne le craignais. Mais il faut dire que mes attentes étaient faibles. Alors oui, vous avez raison, c'est du "socedem" (j'aime bien ce mot, la SOCEDEM, on dirait une grosse boîte d'eaux, de BTP et de médias).
Il y a quelques bonnes choses sur le logement (sans doute parce que c'est un problème qui concerne même -surtout?- les bourgeois parisiens) ; la partie institutionnelle, piquée à Montebourg avec de l'eau dedans, est également recevable ; idem pour l'environnement qui marque une vague prise de conscience réelle.
Pour le reste, c'est le Canada Dry absolu. Pas une mesure fiscale (le levier essentiel de la justice sociale), sauf une vague conditionnalité des aides publiques aux entreprises. Et, de manière intéressante (ou alors ai-je mal lu ?) rien sur l'abrogation des mesures scélérates de la droite, notamment concernant les retraites. Il est vrai que Mme Royal peut s'inspirer de Jospin, qui n'avait guère abrogé le cambriolage légal auquel s'était livré Balladur avec les retraites du privé. Quant aux 35 heures, au respect du droit du travail, tout ça, c'est renvoyé "aux partenaires sociaux". Eh bien voyons.
Bref, l'un dans l'autre, c'est du PS, mais son programme n'est pas socialiste, comme disait l'autre... IL ne faudra pas venir pleurer si Le Pen passe au 2e tour.
Rédigé par : manu | mardi 13 février 2007 à 09:41
Mais tu dis bien ce que tu as envie de dire, Hugues, je ne te dénie pas du tout ce droit-là. Je constate simplement que l'énoncé des dites 100 propositions a déclenché chez toi un enthousiasme qu'on peut qualifier d'inexistant. Il n'y a pas de honte à ça -- si tu crois qu'elles m'ont enthousiasmé, moi! Mais pour une fois que tu aurais pu tomber d'accord avec quelques-uns de tes contradicteurs habituels, tu préfères choisir un silence que l'on devine consterné. C'est ton droit, sans l'ombre d'un doute. Mais ça ne trompe pas grand-monde...
(Rien à voir: je trouve que tu abuses de l'anglais dans tes titres. Si vraiment la langue de Voltaire te paraît trop franchouillarde, tu devrais au moins varier un peu; titrer de temps à autre "hasta la victoria siempre", "è pericoloso sporgersi"... ça aiderait à construire l'Europe!)
Rédigé par : Poil de lama | mardi 13 février 2007 à 09:42
Moi j'avais cru comprendre que les 100 propositions reprenaient les remontées des focus group afin de correctement cibler du même coup les ménagères de moins de 50 ans, le troisième age téléphile et les jeunes adultes de bac - 3 a bac + 6 que leurs parents empêchent de rentrer tard le soir?
On a oublié quelqu'un?
Rédigé par : Merlin | mardi 13 février 2007 à 13:16
Ce qu'il y a de bien, avec Internet, c'est la vitesse : je viens d'être rétabli dans mes droits sur la liste de diffusion de la campagne !
Je me demande si je ne vais pas demander un portefeuille de ministre le prochain coup.
Rédigé par : Hugues | mardi 13 février 2007 à 17:59
Je suis d'accord avec Hugues : plutôt agréablement surpris.
Au delà des propositions, il y a un cadre qui est fixé qui peut rassurer les réformistes que nous sommes, qui rassurent sur la mise en place des propositions.
Ce fut un discours à plusieurs partitions et plusieurs voix, mêlant notamment le socialisme tendance libérale et social-démocrate, la mise en mouvement de la société et les régulations souples, et le socialisme de la puissance publique, contraignante et interventionniste.
Le projet du parti est toujours là, mais réorienté et enrichi par les propositions originales de la campagne interne, des débats participatifs, des divers travaux.
Nous avions des réserves à propos du projet socialiste. Le programme hier présenté nous convient mieux. Ainsi, nous nous félicitons des principes mieux affirmés :
-de la claire prise en compte de la contrainte de la dette
-de l'absence de hausse de la pression fiscale
-de la volonté de réconcilier les Français avec l'entreprise
-de l'ambition de réformer l'Etat, notamment à travers la régionnalisation
-de la promotion d'un nouveau syndicalisme plus puissant et partenarial.
Ces orientations sont mises en lumière sur
http://rfrn.over-blog.com/article-5624773.html
Rédigé par : jani-rah | mardi 13 février 2007 à 21:12
Il faut rétablir l'équité. J'étais Porte de Versailles et là non plus les gens ne se lavaient pas les mains en sortant des toilettes. On ne peut peut-être pas en tirer de vraies conclusions politiques.
Rédigé par : Rétablir l'équité | mercredi 14 février 2007 à 16:24
C'est intéressant de lire cela 10 jours plus tard. Besson a claqué la porte, le Parisien publie son dernier sondage... Villepinte n'a pas enrayé la spirale.
Je pense que Ségolène a connu son état de grâce... pour les primaires.
Elle connaît le contrecoup... pour la campagne.
C'est le doute juste qui s'installe.
Rédigé par : Charles' | samedi 17 février 2007 à 14:55
Charles,
On annule l'élection alors, si c'est plié ? Besson s'en va, ça occupe le terrain sur le mode de l'absence de professionnalisme du PS et du coup, on oublie que l'UMP vient de retoquer le projet du vainqueur putatif dans les grandes largeurs...
It ain't over until the fat lady sings, comme on dit.
Rédigé par : Hugues | samedi 17 février 2007 à 18:14
Pas si fat, the lady, je l'ai connue à vingt ans, moi... sur une 850 cm3 Kawa...
Rédigé par : Charles' | samedi 17 février 2007 à 21:34