Voter « gauche antilibérale », c'est un peu comme déjeuner dans un mauvais restaurant chinois : le menu court sur dix-huit pages, mais les plats ont tous le même goût (1).
Je me demandais, l'autre vendredi, tirant mon petit chariot à roulettes au retour des grandes courses de fin de semaine et passant devant un mur recouvert d'appels à altérer le monde, comment s'organiserait, ce coup-ci, la répartition du vote « antilibéral ».
Car enfin, comment des gens incapables de faire la différence entre le PS et l’UMP, convaincus que Rocard ou Bayrou, c’est pareil, arbitreront-ils entre les cinq candidats de la gauche authentique ? Oh, je ne parle pas des militants semi-professionnels de la Ligue, du PC ou de LO, qui voteraient pour un mannequin en chlorure de polyvinyle si le parti l’exigeait ! Ceux-là ne m’intriguent pas vraiment ou, en tout cas, guère plus qu’un témoin de Jéhova marmonnant que la fin est proche et qu’il est temps de se repentir... Non, je veux parler de ceux qui, en vérité, se seraient joyeusement accommodés du candidat unique qui leur avait été promis au soir du Grand Non et devront faire preuve de la plus grande des subtilités pour s’auto-convaincre de la pertinence de leur choix.
D’un point de vue objectif, Besancenot, Bové, Buffet, Laguiller et Schivardi ne sont effectivement pas si différents ― quels qu’aient été les désaccords ne leur ayant pas permis de résister à l’appel égotiste de la gloire télévisuelle. Hostiles à l’économie de marché, à l’Europe (ok, ok, pas à l’Europe mais à cette Europe), aux Etats-Unis, à la dérive libérale de la social-démocratie, à l’industrie, à la fin de l’industrie, à l’argent, au manque d’argent, etc., nos cinq mousquetaires ne divergent vraiment qu’à la marge. Et sans entrer dans le détail de leurs programmes respectifs, programmes n’étant de toute manière pas destinés à une diffusion de masse (manquerait plus que ça !), l’on voit mal comment la sélection se fera ― au-delà d’un bête arbitrage sociodémographique s’entend.
Besancenot, ainsi, plait aux jeunes. Trentenaire échevelé et constamment énervé, amateur de rock’n’roll et de T-shirts noirs, il devrait gagner l’adhésion des ados et des cadres branchés désespérés par l’habitus droitier de Ségolène. Laguiller incarnant, de son côté, une révolte plus mature, plus terre-à-terre, plus HLM et transports en commun, elle emportera le morceau sur le segment familial de l’électorat gaucho-protestataire. Elle en ferait presque de l’ombre à Marie-Georges, tiens, sur ce coup. Mais l’héritière de Jojo « Taisez-vous Elkabbach » Marchais pouvant tabler sur les nostalgiques du Grand Parti Ouvrier de Gouvernement pour « résister », elle devrait avoir conservé son gros pourcent au soir du 22 avril...
Schivardi, c’est un peu différent. Concentrant, de manière surprenante, sa campagne sur la préservation des bureaux de poste en zone rurale, il aura du mal à fédérer les titulaires d'un compte G-mail en région parisienne. Et il ne me semblerait pas totalement incroyable qu’il soit confondu, de bonne foi, avec son collègue du CNPT par un chasseur distrait. A la limite, ce serait même la meilleure chance du Parti des Travailleurs de ne pas embrasser le popotin de Fanny au moment du décompte.
Bové, enfin ― et même si ses excursions banlieusardes ont brouillé son image d’Astérix carburant au Roquefort sans OGM et de pen pal du sous-commandant Marcos ―, devrait séduire la frange écolo-libertaire. Une frange dont les membres, s’ils apprenaient que Thoreau était un libéral yankee, s’étrangleraient sur leur hamburger au tofu.
J’ai moi-même spéculé sur la manière dont je voterais si, abandonnant un instant ma posture social-traître, je me laissais aller à choisir la vraie gauche. Trop vieux pour Besancenot, trop confortablement installé dans la vie pour Laguiller, trop urbain pour Schivardi, trop américanophile pour Bové, il me resterait sans doute l’option Buffet et son côté « vrai parti structuré », éventuellement capable de produire un Charles Fiterman, un Philippe Herzog, un Jean-Claude Gayssot (à la limite)... Mais franchement, je crois que je préfèrerais tout de même m’abstenir, passer mon chemin devant ce mur recouvert d’affiches, avec mon petit chariot à roulettes.
©Commentaires & vaticinations
Que l'on ne se méprenne pas, je suis effectivement amateur de bonne cuisine chinoise et j'en profite pour recommander l'un de mes restaurants favoris à Belleville :
New Nioulaville, 32-34 rue de l'Orillon, Paris 11e...
Rédigé par : Hugues | mardi 03 avril 2007 à 18:19
"D’un point de vue objectif, Besancenot, Bové, Buffet, Laguiller et Schivardi ne sont effectivement pas si différents"
Ha, ça, c'est parce que vous n'avez jamais pris le temps d'assister à un débat sur le nucléaire dans lequel deux des cinq cités étaient représentés.
Remarquez, c'est un peu pareil au PS (voir un Montebourg accroché à ses emplois de fondeur de chaudières nucléaires s'étriper avec ... qui, déjà ?) mais ça se voit moins.
Rédigé par : P. | mardi 03 avril 2007 à 19:53
Il en va du marché politique comme du marché tout court, celui de votre caddy, précisément. Regardons depuis cinquante ans la consommantion des produits marchands, culturels et idéologiques. Et voyons comme les babyboomers ont structuré ces marchés. A quoi croit-on que corresponde la "droitisation" de l'opinion. A l'évolution d'une classe d'âge, en grande partie. Y compris dans les rangs socialistes qui n'ont pas trouvé dans les "provocations" de Royal le sacrilège qu'on voulait y voir.
Ce qui fait que cette marge "antilibérale", que vous décrivez bien, ne correspond plus qu'à la calcification nostalique de certains anciens, et à l'émoi politique naissant de plus jeunes, mais peu nombreux. Non?
Rédigé par : Charles' | mardi 03 avril 2007 à 22:08
"qui voteraient pour un mannequin en chlorure de polyvinyle si le parti l’exigeait"
Ca n'est pas le cas de tous les partis ? En tout cas le PS en donne une bonne imitation en ce moment ;)
Rédigé par : Denis | mardi 03 avril 2007 à 22:42
Besancenot, qui prend la tête dans les sondages, va fédérer je pense,... Les miettes s'envolleront au vent.
Y'aura t-il des désistements avant le premier tour (est-ce possible ?)
Le principal soutien médiatique de Bové, Michel Onfré, rejoint Besancenot...
En tout cas, cette situation ubuesque permet à un discours antieuropéen d'extrême gauche de truster plus d'un quart du temps d'antenne... A qui profite le crime ? Cela peut faire réfléchir certains prolo-Sarkozystes, et met en oeuvre une rengaine anti-droite.
Mais cette concurrence entre les chapelles antilibérales détourne aussi des électeurs de gauche...
Rédigé par : jani-rah | mardi 03 avril 2007 à 23:21
Je partage tout à fait votre billet.
Cependant, soyons 'juste': il y a quand même un intéret à ne pas présenter de candidature commune à gauche de la gauche de la gauche: l'égalité de temps d'antenne! Il y a quand même 5 fois plus de temps de parole pour la 'vraie gauche' (qu'elle dit) que pour les sociaux-traitres que nous sommes.
Rédigé par : JaK | mercredi 04 avril 2007 à 00:33
jani-rah: Onfray.
C'est l'inconvénient quand on prend ses consignes après de son chef de section : on oublie, dans le zèle qu'on doit manifester dans l'exécution des consignes, de vérifier comment s'écrit le nom d'une personne dont on ne connait rien mais dont on doit pourtant parler.
Le plus remarquable étant qu'Onfray n'a jamais caché que son intention essentielle était de convaincre telle ou telle fraction de l'extrème gauche de finir par voter PS (mais pas tendance Hollande/Royal, je l'admets).
Rédigé par : P. | mercredi 04 avril 2007 à 07:51
A vous lire, aujourd'hui au sujets des candidats de la gauche radicale, comme hier à celui du syndicalisme dans votre billet sur la CGT, comme à entendre tous les jours une Laguiller ou un Besancennot, le divorce semble aujourd'hui définitif entre la gauche de gouvernement et celle des mouvements sociaux?
Le fossé creusé depuis vingt ans est trop large aujourd'hui pour établir des ponts entre les deux rives de la gauche?
La gauche est donc condamnée à rester dans l'opposition pour un bon moment. .. Et si elle parvient au pouvoir par quelque habile manoeuvre le temps d'une campagne électorale, elle ne pourra ni gouverner, ni se maintenir...
A moins que le projet de la gauche de gouvernement soit bien de lâcher le monde des mouvements sociaux pour changer d'alliance (avec le centre?)...
Au risque de radicaliser encore un peu plus les extrêmes, d'optimiser aux petits oignons la fermentation sociale et de nourrir toutes les révoltes sociales à venir ?
Triste perspective...
Rédigé par : tardif | mercredi 04 avril 2007 à 15:20
Jak,
Tiens, c'est vrai, je n'avais pas pensé à cette histoire de multiplication du temps d'antenne. On est effectivement dans le marketing...
Tardif,
Ce fossé n'est pas une "triste" perspective". Et ne pas s'associer à la CGT sur le port de Marseille ne signifie pas que l'on s'éloigne du mouvement social. En fait, ce dont il faut s'éloigner, c'est de l'idée que ce genre d'action représente un mouvement social quand il s'agit d'un simple mouvemement corporatiste et égoïste.
Rédigé par : Hugues | mercredi 04 avril 2007 à 16:54
Peut-être que ce fossé entre les deux gauches démontre qu'il ne s'agit pas de "deux gauches" au sens où elles font encore partie du même univers. La gauche radicale demande des transformations qui ne sont pas juste "plus radicales" que celles que cherche la gauche "normale" : elle demande des changements auxquels la gauche normale est carrément hostile. La rupture est totalement logique.
Rédigé par : Gégé | mercredi 04 avril 2007 à 17:01
L'extrême gauche est donc celle des mouvements sociaux ? Pas plutôt celle des rêves agités de quelques frénétiques qui croient encore au Grand Soir ? J'entendais cet après-midi même une représentante de LO sur BFM ; nous n'étions vraiment pas sur la même planète...
Rédigé par : cdc | mercredi 04 avril 2007 à 18:28
Vous avez inspiré Ali Badou ce matin sur France Culture. Il avait invité Marc Peschanski qui est un biologiste membre de LO et on aurait dit qu'il lui mettait vos derniers articles sur les trotskystes sous le nez http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/matins/
Rédigé par : Anonyme | jeudi 05 avril 2007 à 10:15
J'ai bien rit, moi qui pensait que la gauche c'était le politiquement correct et l'ange blanc du bien public.
Mais qu'est ce que la gauche au fait?
Rédigé par : Merlin | samedi 07 avril 2007 à 09:48