Rémy Bricka de la politique, Nicolas Sarkozy s'est entouré d'une équipe dont on pressent qu'elle lui permettra de jouer de tous les instruments sans interférence. Mais quel sera le rôle de Bernard Kouchner et de Martin Hirsch dans sa partition ?
Je veux bien ne pas tomber dans la comparaison scabreuse, le vol d'un oeuf n'étant assimilable à celui d'un boeuf que lorsque le délinquant est un mineur multirécidiviste originaire d'une zone de non-droit, mais j'éprouve certaines difficultés à réconcilier l'hommage rendu à Guy Môquet et l'accolade faite à Eric Besson au cours des dernières vingt-quatre heures.
Trahi par un « camarade » de pacotille, le jeune communiste assassiné est effectivement l'admirable archétype de ceux qui, sans avoir le goût du sacrifice, acceptent de prendre les risques que la plupart d'entre nous fuiraient. Le dénonciateur du « Nécoconservateur bushiste à passeport français » passerait plutôt, de son côté, pour la caricature du félon médiéval ― sa capacité à changer de cheval au milieu du gué en disant long sur la profondeur de ses convictions.
En les honorant l'un et l'autre, le résistant et le traître, Nicolas Sarkozy ne m'aide pas beaucoup à trancher dans la conversation schizophrène que je mène avec moi-même depuis son élection, à la recherche d'indices sur la tournure que prendra son mandat. Bah, son nouveau secrétaire d'Etat à la « Prospective et à l'évaluation des politiques publiques auprès du Premier ministre » étant toujours susceptible de le poignarder dans le dos à l'occasion, ne jetons pas immédiatement la pierre au successeur de Jacques Chirac et intéressons-nous plutôt au reste de sa dream team.
Au final, pas de vraies surprises, même si le retour de Roselyne Bachelot et de Christine Boutin ne donne guère le sentiment que le désir d'efficacité ait primé sur toute autre considération dans l'élaboration de ce gouvernement. Non, dans cette affaire, Blücher n'a pas remplacé Grouchy et les élus sont bel et bien les éligibles : Brice Hortefeux hérite du sinistre ministère de l'Identité nationale dont personne, pas même Eric Besson, encore que, n'aurait voulu ; Michèle Alliot-Marie abandonne les pandores au profit des bourres ; Borloo et Juppé obtiennent les grands machin-choses qui siéent à des personnalités de leur calibre ; un Xavier récupère l'Education nationale quand un autre est chargé du Travail... Bref, tout semble en place pour que Sarkozy s'occupe de tout par le truchement d'un Premier ministre réinventé en chief of staff.
Mais sur Bernard Kouchner et Martin Hirsch, je réserve mon jugement. L'un et l'autre ont fait le choix de l'action et je ne me permettrais pas, connaissant leurs parcours respectifs, de les ravaler au rang d'un Besson (que personne, en revanche, ne connaît). J'imagine qu'ils sont un peu comme moi dans cette histoire : incertains quant à la manière dont les choses évolueront et prêts à faire le pari d'une bonne surprise. Comme moi, donc, à la différence qu'on leur a proposé un ministère et que je conserve tout juste le droit de m'épancher sur mon blog. En tout état de cause, je n'accompagnerai pas François Hollande dans sa colère en carton, me souvenant, avec Eolas, de la complaisance du Premier secrétaire à l'égard de Georges Frêche : il faut croire qu'être nommé ministre est plus à même de vous faire foutre à la porte du PS que l'émission régulière de propos racistes.
Seule certitude à ce stade, le trouble suscité par cette ouverture à gauche (Hirsch, actuel président d'Emmaüs, se présente comme « deloriste » et Jean-Pierre Jouyet, un proche de Ségolène Royal, est également doté d'un strapontin sarkozyste) et au centre (Hervé Morin a pris la place de Robien comme UDF de service) devrait aider l'UMP à repeindre la Chambre en bleu horizon jusqu'au plafond. Mais pour y faire quoi ? Hum, bien malin qui le dira.
© Commentaires & vaticinations
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PS : Com-vat va rester muet quelques jours, le temps pour son auteur d'aller se ressourcer dans les Highlands écossaises. Il faut bien que je me débarrasse de mes RTT avant que Sarkozy ne me les carotte, non ? Mais les commentaires restent ouverts et les textes sur lesquels vous auriez pu faire l'impasse vous tendent leurs petits bras potelés. A très bientôt...
C'est un peu triste, Hugues : visiblement, tu décèles très bien toi-même ce que ta comparaison a de scabreuse et pourtant, tu ne parviens pas à la réprimer. Comment peux-tu comparer les circonstances de la trahison qu'aurait subi Moquet (je ne doute pas que tu as de meilleures connaissances que moi à cet égard mais la page que tu nous indiques sur wikipedia ne mentionne pas qu'il ait été victime d'une trahison) et le choix de Besson ?
Si mon meilleur ami me propose un ciné samedi soir et qu'une connaissance me propose de rencontre Penelope Cruz le même soir, que je choisis Penelope Cruz, alors que mon ami, va passer sa soirée seul, je le trahis, faut-il en conclure que je suis l'archétype du mec qui a fait buter Moquet ?
Peut-être faut-il garder le sens de la mesure, non ?
Tu me diras que ce n'était que de l'humour et que d'ailleurs la mention du boeuf et de l'oeuf en était l'indice évident, j'imagine.
Rédigé par : koz | vendredi 18 mai 2007 à 17:57
Koz,
Tu ne peux pas me dire que tu comprends le ton de cette comparaison tout me soupçonnant de comparer Besson à un milicien. Faut faire un choix... Évidemment, Besson n'est pas un collabo, mais il est bel et bien un « traître ». Sauf à ne plus savoir ce que ce mot signifie. Et il est récompensé pour sa traîtrise par celui-là même qui exalte les valeurs de la loyauté et de l'engagement. On peut trouver ça difficile à avaler.
Et en ce qui concerne la trahison dont fut victime Môquet, disons qu'il s'agit d'un rapprochement que je considère tout à fait légitime en l'espèce, entre le sort de ce résistant et celui des jeunes effectivement trahis par un "camarade" et auxquels Sarkozy est allé rendre hommage au bois de Boulogne.
Rédigé par : Hugues | vendredi 18 mai 2007 à 18:43
About Kouchner et Besson, il me semble me souvenir qu'un samedi matin, dans un hôtel parisien, face à un interlocuteur béarnais, la belle du Poitou avait affirmé à plusieurs reprises l'urgente nécessité de "sortir de l'affrontement bloc contre bloc". La dame en blanc n'ayant pas été en ce lieu démentie (je crois) sur ces déclarations, j'aurais imaginé que ces messieurs Besson et Kouchner, obéissant fidèlement aux conseils de la chef, auraient pu se voir félicités d'être plus ségolénistes que Ségolène elle-même...
Rédigé par : François X | vendredi 18 mai 2007 à 18:54
"Michèle Alliot-Marie abandonne les pandores au profit des bourres "
Juste une précision, depuis 2002 "les forces de gendarmerie ont été rattachées au ministère de l'intérieur pour leurs missions de sécurité intérieure" , même si "Les gendarmes continuaient toutefois à relever du statut militaire."
http://fr.wikipedia.org/wiki/Gendarmerie_nationale_(France)
Bon, cela n'a pas grande importance, si ce n'est que cela m'a permis de decouvrir que cela avait permis à Chirac de tenir une de ses promesses de la campagne de 2002 !
Rédigé par : Scykhan | vendredi 18 mai 2007 à 19:10
Reprenons, Hugues : Moquet n'a pas été exécuté suite à une trahison. La comparaison que tu fais n'est donc pas applicable, ce qui aurait dû faciliter pour toi la conciliation entre l'hommage d'hier et la nomination d'aujourd'hui.
Mais puisque d'autres que Moquet ont, eux, étaient trahis, alors c'est presque comme si lui-même...
Admettons. La comparaison entre la trahison subie par l'allégorie Moquet et une péripétie de campagne présidentielle reste assez déplacée.
Tu ne veux pas faire de comparaison scabreuse mais, malheureusement, voilà, elle est faite. C'est malheureux, mais bon, c'est parti comme ça.
Hugues, je te fais crédit de n'avoir jamais donné dans le Sarko=facho et, à ta place, je suis sûr que j'aurais été assez rageur de voir un membre de l'équipe de campagne de Sarkozy entrer dans un gouvernement Ayrault. Mais tout de même l'analogie fait tiquer.
Rédigé par : koz | vendredi 18 mai 2007 à 19:41
François X,
Mais je fais justement la différence entre Besson et Kouchner, même si, évidemment, Ségolène n'envisageait pas ce genre de choses lorsqu'elle s'est exprimée.
Scykhan,
Bah, bourre et bourre et ratatam.
Koz,
Tu cherches la petite bête, là. Mais si l'on continue dans cette veine, Môquet a été arrêté par la police française et exécuté sur ordre du ministre de l'Intérieur (hum...) de Pétain. Si ça n'est pas de la trahison, ça !
Maintenant, l'affaire Besson, sur laquelle je n'ai tout de même pas envie de faire le réveillon, n'est pas une péripétie de campagne mais bien un phénomène inédit : l'un des principaux moteurs de l'équipe socialiste, auteur d'un pamphlet d'une rare violence contre le candidat d'en face, quitte le navire et en trois semaines rejoint ses adversaires, milite activement pour leur victoire et se voit récompenser d'un maroquin en skaï.
Ca laisse rêveur. Mais pourtant, j'ai du mal à imaginer un Hortefeux ou un Devedjian laisser tomber Sarkozy pour entrer dans un gouvernement de gauche et pour connaitre ma réaction dans ce cas, ben il faudrait que ça se produise. Il y a des limites à mon potentiel de vaticination.
Rédigé par : Hugues | vendredi 18 mai 2007 à 20:06
Déjà, pour la comparaison entre Kouchner et Frêche, je prendrai quand même note du fait que Frêche a été finalement exclu. Que la direction du PS mette dans un cas 3 ans à réagir, et dans un autre cas 3 jours devrait être un signe encourageant: la bureaucratie du parti découvre enfin les vertus de la célérité. De plus, très honnêtement, subir une espèce de Robien bis qui aurait passé son temps à tirer à vu sur les gens qui n'ont pas envie de dire "oui chef" à Sarkozy tout en étant membre de leur parti, je m'en passerai volontier, merci bien.
Concernant Besson, personnellement, je ne le comparerait pas au félon médiéval, mais plutôt, pour reprendre le titre "d'autogol" au mauvais footeux sans perspective d'avenir qui finit par se faire payer pour faire perdre son équipe. Une espèce de Butch Coolidge, en plus réel, moins sympathique, et peut-être même plus bête, parce que j'ai l'impression que derrière son nouveau statut ronflant de secrétaire à la prospective de patin couffin se cache un poste dont l'influence politique sera aussi réduite que le titre est interminable, qui ferait de lui le Begag du nouveau gouvernement. D'un autre côté comme je soupçonne fortement l'individu d'être un courtisant raté, il est assez probable qu'il se contente de se rengorger de son nouveau titre de noblesse et soit très heureux de sa nouvelle situation.
Enfin, l'attitude de Sarkozy n'a strictement rien de schizophrène: Môquet, Jaurès, Blum, et même Mitterrand à qui il a attribué une phrase de Giscard, ont tous ceci en commun: ils sont morts, et ne risquent plus de rendre les coups. Je vais me permettre une comparaison qui va faire hurler Koz (mais quelque part cette perspective ne me déplaît pas vraiment): prenons un autre personnage de l'UMP: Jacques Peyrat: Sénateur-Maire de Nice, transfuge du FN, anti-communiste et antisémite notoire de son état. Ce personnage est parfaitement capable de faire des discours consensuels (qu'il n'a probablement pas écrit lui-même) devant les plaques de résistants communistes exécutés ou d'enfants déportés un après-midi après avoir copieusement injurié les membres PC de l'opposition le matin et jeté une saleté antisémite hors caméras à midi. Glorifier les morts ne coûte rien, c'est même un moyen assez facile de jouer les saints ouverts et tolérants. Ce qui est important, c'est de voir comment se comporte celui qui glorifie les morts vis à vis des vivants, et là on sait si le discours flatteur était sincère ou hypocrite.
Rédigé par : Laurent Weppe | vendredi 18 mai 2007 à 20:40
Mais personne ne pose la question de savoir comment la droite, la vraie, accueille Kouchner, Hirsch ou Besson le traitre. Koz fait la comparaison avec l'ouverture qu'aurait pu pratiquer la gauche, mais ça n'est pas réaliste : Ségolène présidente et DSK premier ministre n'auraient pas fait venir Devedjian ou Hortefeux (pendant de Besson).
Comment les électeurs de droite n'ayant aucun goût pour l'ouverture et ayant voté sans arrière pensée complexe perçoivent-ils ces initiatives sarkozystes ? Pensent-ils avoir été trompés ?
Rédigé par : Erik le Rouge | samedi 19 mai 2007 à 11:42
Ce qui parmis les électeurs de droite qui n'ont aucun goût pour l'ouverture doivent se délecter du coup de Sarko: ils sont persuadés (ce en quoi je leur donne raison) que Sarko imposera une telle docilité à ces ministres que ceux-ci seront incapable d'avoir une influence "néfaste" sur la politique de Nicolas Premier (d'ailleurs c'est amusant: c'est le premier Nicolas à être chef d'état depuis que Nicolas-Louis François de Neufchâteau a quitté le directoire en 1797)
Rédigé par : Laurent Weppe | samedi 19 mai 2007 à 12:12
Hugues, c'est la première fois qu'on me la fait celle là. Me comparer à Rémi Bricka ! J'en reste scié...
Rédigé par : Mon Elysée | lundi 21 mai 2007 à 19:46
Michèle Alliot-Marie abandonne les pandores au profit des bourres.
Doit y'avoir une contrepêterie la dessous.
Rédigé par : Tlön | mercredi 23 mai 2007 à 14:10
Il y a une hypothèse sur Kouchner qui mérite d'être prise au sérieux. On le sait : il n'y a rien comme une petite bonne guerre pour dérouiller les "assets" de l'industrie nationale (celle de l'armement étant aussi honorable que les autres, et visiblement au coeur du carnet d'adresses de Sarkozy).
Pourquoi pas le Darfour ? Allez, une bonne guerre bien morale, une "invasion humanitaire". On n'a pas voulu se taper l'Irak, et bien va falloir quand même s'en taper une pour faire plaisir aux amis atlantiques, non ?
Regardez comment ça se prépare dans les médias ! Kouchner : l'homme de la situation. Ni de gauche, ni de droite, une guerre du coeur...
Pour se faire une opinion sur l'intérêt d'une invasion du Darfour, je recommande le point de vue polémique mais convainquant de Mahmood Mandani dans London Review of Books (Vol. 29, no. 5, Mars 2007) :
http://www.lrb.co.uk/v29/n05/mamd01_.html
A lire en ayant en tête l'entente Sarkozy / Kouchner (et la manière dont la presse française fait ce qu'il faut pour que ça passe).
Rédigé par : stet | mercredi 23 mai 2007 à 22:43
Non Hugues, il faut que quelqu'un défende un peu Besson. Je vais m'y coller. Je déteste l'Opprobre Unique dont il fait l'objet. Pourquoi ne pas le donner au peuple (de gauche) pour qu'il s'en occupe.
Beaucoup de gens intelligents, comme vous, se sont laissés prendre au mesmérisme de pacotille d'une candidate borderline qui ne le méritait pas. Vous avez, comme beaucoup, trahi votre propre lucidité. C'était votre choix. A contratrio, Besson a choisi en conscience de ne plus participer à la farce sectaire qui se déployait sous ses yeux (le livre La femme fatale est terrible à cet égard, mais, je sais, vous ne le lirez pas). Il mérite, Besson, qu'on lui reconnaisse cela.
Vaut-il mieux trahir l'honnêteté intellectuelle ou la bande de fumistes complaisants qui entourait la Belle?
Commentez.
Rédigé par : Charles' | jeudi 24 mai 2007 à 17:46
Besson a fait le digne en affirmant qu'il quittait la politique pour finalement y revenir par un emploi fictif. Son surnom de "ministre du bois de boulogne" il l'a amplement mérité, et très franchement, le simple fait que maintenant on vienne me dire "on te l'avais dit que ton parti était rempli de politicard qui n'ont pas de conviction, regarde «ton» Besson" est très très très très gonflant.
De plus, je n'ai pas choisi Royal par manque de lucidité, mais parce qu'un certain nombre de ses thèmes de campagne étaient à la base des termes d'universitaires, d'intellectuels, que d'autres politiques n'utilisaient pas, soit parce qu'ils ne les comprenaient pas (ce qui est déjà grave), soit parce qu'ils estiment que le citoyen lambda est trop demeuré pour les comprendre (ce qui l'est encore plus). Et question de fumiste, j'en ai un peu ras-le bol des mecs qui au sein du PS passent leur temps à se complaire dans l'idée qu'ils font partie de l'élite intellectuelle du pays sous prétexte qu'ils payent 60 euros de cotisation par an, et qui ont rejeté Royal dès le départ parce qu'elle ne collait pas à leurs fantasies élitistes.
Rédigé par : Laurent Weppe | jeudi 24 mai 2007 à 21:23
Hey Laurent Weppe. Donc, au fond, tu as voté SR parce qu'elle était la candidate de l'intelligence ? Tu peux donner un exemple précis, stp, parce que, là, honnêtement, je suis un peu surpris.
Rédigé par : François X | vendredi 25 mai 2007 à 16:29
Laurent,
Tu as chois Royal parce que "un certain nombre de ses thèmes de campagne étaient à la base des termes d'universitaires". Mais tu en as marre des intellectuels du PS.
Ok, ok...
Rédigé par : Charles' | samedi 26 mai 2007 à 16:44
Ha mais je n'en ai pas marre des intellectuels du PS, j'en ai marre de ceux qui, aparatchiks ou militants de base, s'auto-proclament intellectuels de haut vol sous prétexte qu'ils sont à jour de leur cotisation, d'où le terme de "fantaisie élitiste"
Rédigé par : Laurent Weppe | mercredi 30 mai 2007 à 01:11