Le poker est à la mode et Nicolas Sarkozy semble avoir la main. Mais au pays de la belote, est-ce le meilleur des atouts ?
Il est bluffant, ce Sarkozy... Et l'on a beau refuser, par principe, soyons sérieux, de lui accorder le bénéfice du doute, il est difficile de ne pas lui reconnaître une qualité ou deux au vu des derniers développements en date. Une qualité ou deux, mais aussi un ou deux défauts. Défauts suffisamment frappants pour inciter l'observateur à une certaine prudence.
Commençons d’ailleurs par les défauts. Tiens, cette histoire de yacht et d’amitiés patronales, par exemple : si elle ne valait sans doute pas le ramdam orchestré par Libé, elle témoignait d’un vrai mépris du bonhomme pour ce que j’appellerai, à la manière de Nadine de Rothschild ― référence doublement pertinente ― les « convenances ». Que l’homme qui promettait d’aller « habiter la fonction dans un monastère » en cas de victoire se la joue nouveau riche avec autant d’ostentation est tout de même interpellant. Et l’affaire du non-vote de Cécilia, factuellement anecdotique, indique bien à quel point la connivence du nouveau président avec les patrons de presse ne fera guère progresser la France dans le classement RSF au cours de ce quinquennat.
Bon, mais tout ça, on le savait déjà. Son goût du luxe et du clinquant empruntant davantage aux comportements d’un oligarque moscovite qu’à la sobriété de l’aristocrate hongrois qu’il est, au moins partiellement, attendons-nous même à ce qu’un gros 4X4 aux vitres fumées remplace la Vel Satis dans les défilés du 14-Juillet. Quant à son approche de l’indépendance de la presse, hum, là-encore, la comparaison avec la Russie reste légitime.
Mais parlons enfin de ses qualités ― ou au moins de ses qualités présumées. De ce dynamisme volontariste qu’il est en train de démontrer avant même que les cendres du grand Jacques ne soient vaguement refroidies. Nicolas Sarkozy, élu avec 53% des suffrages et sur un programme de droite, assure vouloir pratiquer l’ouverture et mettre en œuvre la fameuse alliance des contraires prônées par feu François Bayrou (quoi, il n’est pas mort François Bayrou ? Ah bon, je croyais avoir lu sa nécro dans le journal mais j’ai dû me tromper...). Il recrute Kouchner, peut-être Taubira, fusionne les radicaux des deux rives, fait du pied à Védrine et met ses lieutenants en pétard au nom d’un pragmatisme de bon aloi, fidèle à l’adage sino-blairiste qui veut que la couleur du chat importe peu « dès lors qu’il attrape les souris ». C'est beaucoup... Hum, sans doute, mais de quelles souris parlons-nous au juste ? Du redressement de l’économie française ou de la déroute socialiste aux législatives ? De la stratégie politique ou de la magouille politicarde ?
Sur l’Europe, Sarkozy débarque à Berlin avec son idée de « traité simplifié », claironnant que « la France est de retour ». Mais personne ne sait vraiment de quoi il s'agit, ni ici, où l’idée de demander au parlement de voter un digest du texte constitutionnel aura du mal à passer auprès des nonistes, ni chez les voisins en ayant déjà ratifié l’intégralité.
Bref, Sarkozy nous laisse songeurs, incapables de déterminer s’il est en train, effectivement, d’habiter la fonction au point de prendre les problèmes à bras le corps, l’un après l’autre et à toute allure pour mieux les régler, ignorant les pleurnicheries de ses fidèles déçus, ou s’il se contente de brasser du vent dans l’espoir de laminer la gauche le mois prochain et mieux se chiraquiser l’été venu. Bluffe-t-il ? Nous entraîne-t-il dans une partie de strip-poker qui nous laissera à poil en bout de mandat ? Est-il, au contraire, en train de construire quelque chose d’inédit, d’incompréhensible pour quiconque, comme moi, cherche à s’adosser à des repères connus ?
Filant la métaphore vegas-ienne jusqu’au bout, et me fondant sur mon expérience du sarkozysme dans le monde réel, je choisis l’hypothèse du poker-menteur, du coup d’esbroufe sans substance. Une attitude confortable, d’ailleurs : que l’histoire me donne raison et je me vanterai d’une vaticination à succès ; qu’elle me donne tort et c’est le pays qui y gagne. Ce n’est plus du poker, c’est le pari de Pascal à l’envers. Au royaume de la belote, il fallait bien ça.
© Commentaires & vaticinations
N'est ce pas du procès d'intention ?
Rédigé par : Toreador | mercredi 16 mai 2007 à 15:40
Dieu sait si cela me coûte de venir à sa défense, mais l'histoire du monastère n'était qu'une interprétation de la phrase sur "habiter la fonction". Ce n'est d'ailleurs pas entre guillemets dans le lien que vous proposez. Bizarrement, tout le monde avait compris "monastère", vu le caractère solennel des termes qu'il avait employé dans Le Parisien, où i disait vouloir se retirer de la vie publique une dizaine de jours pour habiter la fonction, prendre la mesure de la gravité des charges qui pèsent désormais sur ses épaules, se reposer après le fracas de la campagne.
Rédigé par : john.reed | mercredi 16 mai 2007 à 16:19
Si Sarkozy n'existait pas, de quoi pourrait on bien parler?
Rédigé par : Merlin | mercredi 16 mai 2007 à 16:51
Toréador,
On ne prête qu'aux riches.
John Reed,
Ma foi, je m'en tiens à ce que dit le Monde qui, il est vrai, ne le met pas dans la citation directe mais le laisse entendre.
Merlin,
Ben de Ségolène voyons ! Et nous ne nous en porterions que mieux.
Rédigé par : Hugues | mercredi 16 mai 2007 à 17:29
"je m'en tiens à ce que dit le Monde"
C'est ce qui vous perdra.
C'était dans l'interview accordée au Parisien qui devait paraître le samedi 5 mai, mais qui n'avait finalement été diffusée que sur le site web.
Notez comme le Monde omet totalement de citer la source de ce qu'il met entre guillemets. La classe !
Rédigé par : john.reed | mercredi 16 mai 2007 à 17:47
OK OK, il a 2 ou 3 défauts (même 4 peut-être...) mais l'avez-vous écouté à la Cascade cet après-midi ? Tiens, la première décision du Président : demander aux profs de lire aux lycéens (ou faire lire) la dernière lettre de Guy Môquet à sa mère. Ca a du sens ça ? Si vous avez des enfants, si vos études ne sont pas très éloignées dans le temps, si vous bossez à l'éduc nat, est-ce que vous avez l'impression que les enseignants essaient de transmettre à nos chères têtes blondes (et brunes aussi à l'occasion) quelque chose comme une idée de ce qu'est un être humain ? (un être humain, pas seulement un gentil électeur social-démocrate, ce qui n'est pas exactement la même chose)
Alors je repose ma question, est-ce que ça a du sens, ça, un idéal humain ? Est-ce que c'est nécessaire ?
Ma réponse : ouais, pt'êt'ben, et pt'êt'ben aussi que ça a des noms : l'humanisme, la civilisation, au hasard comme ça.
Pendant ce temps-là, rue de Solférino, SR relit son pacte où elle a mis en tête l'éducation, promettant des postes et citant Diam's.
Rédigé par : François X | mercredi 16 mai 2007 à 17:52
A propos du goût du luxe, et de l'épisode du yacht, Sylvain Attal rapporte une anecdote figurant dans le bouquin de Bacqué et Chemin (http://sylvainattal.blogspot.com/2007/05/dbuts-tonitruants.html)
"Parlant de rapport au luxe, Raphaëlle Baqué et Ariane Chemin, deux journalistes du Monde révèlent, elles que Ségolène Royal voyage en première classe dans le TGV (ce qui est son droit), mais qu'elle traverse plusieurs wagon pour sortir d'une voiture de seconde classe devant les caméras. C'est plus hypocrite."
La gauche, comme on l'aime, en quelque sorte.
Rédigé par : koz | mercredi 16 mai 2007 à 18:11
"Si vous avez des enfants, si vos études ne sont pas très éloignées dans le temps, si vous bossez à l'éduc nat, est-ce que vous avez l'impression que les enseignants essaient de transmettre à nos chères têtes blondes (et brunes aussi à l'occasion) quelque chose comme une idée de ce qu'est un être humain ?"
Je ne suis pas sûr que cela soit le rôle de l'école d'apprendre aux enfants ce qu'est un être humain, sauf dans cas particuliers. Mais, à l'heure des droits et des devoirs, de la responsabilité, qui des profs ("sociaux-démocrates", est-ce péjoratif ?) ou des parents des petits chéris se doit de transmettre des "valeurs" ?
Rédigé par : Tom Roud | mercredi 16 mai 2007 à 19:40
Koz, la séquence "vive la droite, à bas les droit-de-l'hommistes gauchistes, cours de génétique" est terminée voyons, votre poulain est maintenant animé par "l'exigence de rassembler les Français", il n'y a qu'"un seul vainqueur, le peuple français" (dont fait parti aussi Ségolène Royal, eh oui, elle avait raison ce n'était donc pas une défaite). Vous allez finir par nous faire douter de lui avec toutes ces attaques. tss tss
Rédigé par : mrk | mercredi 16 mai 2007 à 21:44
john.reed
ce sont ces proches qui ont parlé de monastère... et à mon avis c'est un autre qui a du leur souffler l'interprétation.. ce n'est pas Le Monde qui a décidé, comme ça, d'évoquer le monastère parce que ça leur semblait amusant, ou même les proches de Sarkozy qui ont eu une illumination ( pour le coup...) quand même ?
Rédigé par : Phix | mercredi 16 mai 2007 à 21:46
@François X :
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"Tiens, la première décision du Président : demander aux profs de lire aux lycéens (ou faire lire) la dernière lettre de Guy Môquet à sa mère. Ca a du sens ça ?"
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Non, c'est du gadget.
Les profs n'ont pas attendu les injonctions présidentielles pour donner du sens à ce qu'ils enseignent à leurs élèves par des textes de ce genre...
(pour en rester à la Seconde Guerre Mondiale, quand j'étais au lycée, mon prof d'Histoire nous avait montré des extraits de "Nuremberg à Nuremberg"... comme démonstration des horreurs où l'Humanité peut sombrer, ça a du sens aussi, je trouve...)
Quant à cette lettre de Môquet, elle figure déjà dans des malettes pédagogiques utilisées... par des profs de Primaire (oui, on n'est pas obligé d'attendre le lycée pour comprendre ce que ça veut dire et pour se construire en tant qu'humain...)
Enfin, sans vouloir polémiquer, j'ai du mal à saisir le sens, de la part d'un homme qui a sous-entendu il y a peu que la France n'avait rien à se reprocher dans la Seconde Guerre Mondiale, de citer dès son premier discours le texte d'un jeune communiste... fusillé par l'État français, justement pendant la Seconde Guerre Mondiale...
C'est peut-être l'art du contre-pied et du poker menteur souligné par Hugues ?...
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"Si vous avez des enfants, si vos études ne sont pas très éloignées dans le temps, si vous bossez à l'éduc nat, est-ce que vous avez l'impression que les enseignants essaient de transmettre à nos chères têtes blondes (et brunes aussi à l'occasion) quelque chose comme une idée de ce qu'est un être humain ?"
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Oui.
C'est d'ailleurs un des premiers rôles de l'éducation
(éducation parentale en premier lieu, comme précisé par Tom Roud, mais aussi éducation scolaire, et éducation péri-scolaire...)
Et personnellement, mes souvenirs d'élève pas si lointains que ça sont pleins d'enseignants qui ont admirablement bien remplis ce rôle...
... mais, sans vouloir polémiquer, ce n'est pas en recentrant les programmes sur des apprentissages purement instrumentaux, comme c'était la volonté du précédent Ministre de l'Éducation (Robien), qu'on va aider les enseignants à "transmettre une idée de ce qu'est l'humain"...
... et ce n'est pas non plus en supprimant toute référence à la Collaboration et à la Résistance dans les programmes de l'école primaire (nouveaux programmes récemment sortis) qu'on va aider à donner du sens à ce type de symboles défendu hier par M. le Président...
Rédigé par : Jack le Castor | jeudi 17 mai 2007 à 17:42
Bonjour tous. Reed et Castor, sachez que je n'ai rien contre les socios-démocrates, avec lesquels il m'arrive à l'occasion d'être d'accord. D'ailleurs, j'apprécie la prose d'Hugues Serraf, c'est tout dire, mais la polémique, ça ne fait pas de mal.
Je ne réponds pas à tout, mais quelques remarques cependant :
_il me semble que ces histoires de jeunes gens qui sacrifient leur vie, trahissent leur patrie ou l'aiment à en mourir sont des affaires un peu lourdes pour être livrées telles quelles à des enfants de 8 ans; et parler de cette période aux gosses du primaire me semble surtout propice à des simplifications telles qu'on finit par dire n'importe quoi. Enfin bon, les images d'Epinal n'ont jamais tué personne.
_Perso, je défendrai les réformes Robien mordicus. Tiens, par exemple, dans la lettre de Moquet, cette phrase : "Je le suis [courageux] et je veux l’être autant que ceux qui sont passés avant moi." Pour peu que certains élèves ne comprennent pas, "je le suis, il est quoi?, il veut quoi ?", rien n'interdit de penser que le prof pourrait avoir besoin de deux ou trois notions grammaticales qui passeront au-dessus de la tête de 9 gamins sur 10 (sauf peut-être ceux de la bourgeoisie intelletcuelle qui auront mis leurs enfants dans le privé ou dans des écoles publiques des beaux quartiers où on a continué à enseigner la grammaire ?).
_Pour le reste, pas de désaccord fondamental. Juste ravi que HS commence à envisager l'idée que NS sera peut-être un grand homme...
Rédigé par : François X | vendredi 18 mai 2007 à 00:06