La défense des régimes spéciaux n'est pas un combat « de gauche ». Le PS doit se servir de la crise qui vient pour en prendre acte.
Les éditos filandreux de Laurent Joffrin sur la réforme des régimes spéciaux sont un excellent moyen d'appréhender l'embarras existentiel dans lequel se trouve « la gauche de gouvernement ». Pas la gauche « authentique », évidemment — celle-là est sûre de ses valeurs et continue de croire que l’histoire à un sens —, mais bien la gauche « moderne », celle qui aspire à revenir aux affaires pour remettre le pays à l’endroit. Car que dit Joffrin, à la veille de l’ouverture du forum de réflexion politique organisé par Libération, de cette histoire d’acquis sociaux ? Tout bêtement que ces régimes sont « hérités d’un autre temps », qu’ils ne sont pas financés par des « patrons rapaces » mais plutôt par d’autres salariés « aux conditions de départ moins favorables » et, surtout, qu’ils sont déficitaires...
Bon, il ne va pas jusqu’à rappeler que ce débat est de toute façon lié à la question plus vaste du recul de l’âge de la retraite, se souvenant sans doute de l’accueil des éditos « ouistes » de Serge July par ses ombrageux lecteurs, mais il semble faire sienne l’idée sarkozyste d’une pénibilité au travail « très variable d’un métier à l’autre ». Bref, le Persan montesquien passant par là commencerait sans doute par se dire que le directeur du quotidien est favorable à l’harmonisation des régimes de retraites et à l’abolition de privilèges hors d’âge. Poursuivant sa lecture, il découvrirait toutefois que « le progrès ne consiste pas à annuler sans cesse les acquis », que s’il y a « concession, il doit y avoir compensation », qu’il faut écouter ces travailleurs qui sont, après tout, « loin de rouler carrosse », qu’un « contrat a été passé en début de carrière » et qu’il ne saurait être remis en question « tout de go ».
Comprenons-nous bien. Comme le parti socialiste, Laurent Joffrin est totalement « aware » des problèmes posés par l’évolution de la pyramide des âges, l’allongement de la durée de vie et le déficit structurel des caisses de retraites de la SNCF ou d’EDF. Comme François Hollande, il est tout à fait conscient de l’injustice d’un système permettant à quelques uns de travailler moins longtemps, de verser des cotisations inférieures et de percevoir une pension supérieure. Mais il n’est pas prêt à le dire franchement. Il n’est pas prêt à lâcher qu’il n’est pas plus légitime d’augmenter le nombre de trimestres de travail donnant droit à une retraite complète dans le privé que de modifier le contrat des gaziers en cours de carrière. Qu’on voit mal pour quelle raison il faudrait « compenser » la perte d’un « acquis » devenu intenable au motif qu’il s’agit, assez tautologiquement, d’un « acquis ». Et que l’idée même de ne changer la donne que pour les nouveaux entrants est ultimement absurde, les jeunes générations n’ayant aucune raison de financer les retraites de leur aînés à un niveau plus élevé que celles auxquelles elles pourront elles même prétendre.
Les agents de la SNCF, leurs collègues d’EDF ou de GDF, les employés de la Banque de France et les clercs de notaires ne sont pas la base avancée du socialisme. Ils ne constituent pas le dernier rempart contre la barbarie néolibérale qui ne manquerait pas de déferler sur la France si les conducteurs de TGV ne pouvaient plus partir à 50 ans avec 75% de leur dernier salaire. Non, ces gens sont des « agents économiques rationnels », comme on dit désormais. Ils bénéficient d’un régime de faveur, entendent le garder, et se battront jusqu’au bout pour ce faire. Et s’il faut en appeler à l’esprit de la gauche éternelle et du Grand soir pour convaincre Joffrin et Hollande que les survies conjointes de Libération et du PS valent bien une messe de cet acabit, pourquoi hésiter ? D'ailleurs, même Rocard est d’accord, qui assure désormais qu’il est « déraisonnable », voire « dangereux », d’aller au clash en passant « par la loi ».
La gauche avait déjà soutenu, en son temps, mais pour d’autres raisons, la préservation de l’abattement fiscal dont jouissent les journalistes. Résultat, et même si cet avantage a été réduit, il continue de permettre à votre serviteur comme à ses 35 000 confrères de déduire, sans la moindre raison, quelque 7 650 euros de ses revenus à l’heure de remplir sa déclaration d’impôt et, au final, de contribuer plus légèrement que ses congénères enseignants ou plombiers au budget de l’Etat. Dans le cas des régimes spéciaux, et de la compensation qu’il faudrait forcément accorder à leurs bénéficiaires, l’idée d’une négociation n’est pas totalement absurde. Mais il s’agirait alors d’un classique « rachat de rente », identique à la procédure qui permettrait, par exemple, d’augmenter le nombre de taxis parisiens en rachetant leurs licences. Il ne s’agirait certainement pas d’un « combat » pour la démocratie, d’une « lutte » contre l’hydre sarkozyste.
Si le PS devait se laisser entraîner dans cette affaire, s’il devait prendre le risque de se faire l’auxiliaire des corporations concernées par la réforme au lieu d’apporter sa pierre au débat sur les retraites de manière pragmatique, il verrait s’éloigner un peu plus la perspective du fameux aggiornamento et d’un retour aux commandes. Incidemment, si Joffrin devait commettre la même erreur, il accélérerait sans doute le déclin de Libération. Ce serait moins grave, mais tout de même...
© Commentaires & vaticinations
Avant que je n'en fasse état chez moi, il y a peut-être un point sur lequel tu pourrais m'offrir une confirmation : si les agents de la RATP (entre autres) ont signé pour la retraite à 55 ans, si comme le dit Joffrin, "un contrat a été passé en début de carrière", quid de tous les salariés des régimes généraux ? Un "contrat" n'a-t-il pas aussi été signé en début de carrière ? N'ont-ils pas commencé à travailler dans la certitude d'une retraite à 60 ans ? Ils ont pourtant "accepté" de prendre leur part du fardeau...
Rédigé par : koz | jeudi 13 septembre 2007 à 14:07
Peut-être oubliez-vous qu'il fût un temps, pas si lointains, où les régimes de retraites, très différents selon les branches d'activités, avaient été négociés à l'intérieur des branches professionnelles.
C'est ensuite l'Etat, dans un grand consensus entre UMR et PS/radicaux qui a décidé d'unifier les différents régimes de retraite, notamment pour adosser des emprunts destinés à financer le déficit des finances publiques, en déguisant la chose en mesure sociale, alors qu'il s'agissait ni plus ni moins que d'une nationalisation, ou plutôt, une spoliation.
Si désormais, après avoir pu financer (sans résultats économiques, d'ailleurs) son endettement grâce au détournement des cotisations retraites des salariés, l'état se trouve toujours aussi dépourvu, c'est à la solidarité nationale, c'est à dire l'ensemble des français d'en assumer les conséquences : et pas seulement à quelques-uns.
Comptez sur les mois qui viendront pour remémorer ces belles histoires aux français. Et notamment, plaider pour un retour à la situation antérieure à la nationalisation des régimes de retraite.
Rédigé par : Bec et ongles | jeudi 13 septembre 2007 à 14:20
D'accord, le PS ne doit pas s'arc-bouter sur les régimes spéciaux sous peine de passer encore un peu plus pour un parti rétrograde.
Mais alors, comment faire valoir la différence de la gauche sans se voir immédiatement phagocyté par la droite : "vous voyez, même le PS est d'accord pour dire que... etc." ?
La marge de manoeuvre est étroite pour le PS.
Vous proposez quoi, Hugues ?
Rédigé par : YR | jeudi 13 septembre 2007 à 14:28
Koz,
C'est ce que je dis dans ma note. Le "contrat' d'un salarié du privé auquel on demande d'accepter l'augmentation du nombre de trimestres de cotisations en cours de carrière n'est pas moralement moins valide que celui du gazier ou du cheminot.
Mais j'imagine que les syndicats répondront qu'ils sont également hostiles à l'augmentation des trimestres dans le privé et qu'ils exigent au contraire, dans leur immense générosité, l'alignement de tous sur le régime le plus favorable.
Bec et ongles,
Dans le contexte de la retraite par répartition, l'Etat ne prélève pas d'argent sur les cotisations pour le mettre dans sa poche. Et je vois mal d'ailleurs, de quelle poche il s'agit si vous parlez de financer un déficit généré par des dépenses publiques.
Aujourd'hui, les actifs paient pour les inactifs. C'est aussi bête que ça. Si le ratio actifs-inactifs est déséquilibré parce que les seconds vivent plus longtemps et démarrent plus tard dans la vie parce qu'ils font des études, l'effort qui est demandé aux actifs augmente. D'autant plus qu'ils doivent également financer les études longues des inactifs jeunes et les soins sophistiqués des inactifs âgés. Existe-t-il un moyen inédit et original de contourner ce problème au-delà de l'accroissement du nombre d'années de travail ? Et les cheminots et autres gaziers doivent-il rester à l'écart de ce mouvement ?
Yr,
Je propose, pour commencer, d’arrêter de prétendre qu’il n’y a pas de problème. Ce serait un bon début. Je propose d’arrêter de raconter que, si les charges salariales n’avaient pas été abaissées, il y aurait de l’argent dans les caisses quelles que soient les circonstances démographiques.
Tant que nous ne parvenons pas à expliquer qu’il n’est pas « de droite » de faire face au problème, on n’avance pas. Tant que l’on postule que ce qui fait la gauche, c’est la soumission au dogme et au corporatisme, on se moque du monde et l’on éloigne les chances de faire naître une vraie alternative.
Pour qu’une réponse soit donnée, il faut une question. Il ne suffit pas de nier la question pour donner le sentiment de se distinguer et poir s'opposer. En tout cas, les scrutins indiquent que ça ne marche pas.
Rédigé par : Hugues | jeudi 13 septembre 2007 à 14:40
Je ne le contestais pas, Hugues, je cherchais une validation de mon raisonnement auprès d'une autorité morale supérieure et idéologiquement moins suspecte de complaisance avec les intérêts de la classe financière dominante.
Rédigé par : koz | jeudi 13 septembre 2007 à 14:48
Koz,
L'autorité morale supérieure et non suspecte valide. Va en paix.
Rédigé par : Hugues | jeudi 13 septembre 2007 à 14:51
Une prévision : Joffrin, Hollande et tous les sociaux-démocrates honteux rejetteront finalement le texte du gouvernement en admettant que, certes, il fallait se préoccuper des régimes spéciaux, mais, quand même, pas comme ça, pas avec si peu de cas accordé à la négociation et au dialogue. Au final, ils concluront que le gouvernement a usé d'une "méthode brutale" et ça leur permettra d'afficher une opposition de façade. J'ai tout faux ?
Rédigé par : François X | jeudi 13 septembre 2007 à 14:53
Hughes: Il fut un temps où les régimes aujourd'hui déficitaires étaient largement excédentaires : grâce à la captation des excédents, l'état payait ses fins de mois ou plutôt, sa politique sociale, tout simplement, en arguant du fait que par décision du peuple, ces excédents revenaient au peuple : d'où l'accusation de spoliation qui ne manquera pas de sortir du bois étayé de nombreux arguments historiques d'autant plus aisés à trouver que certaines hommes politiques en activité au moment des faits sont toujours en scène.
Rédigé par : Bec et ongles | jeudi 13 septembre 2007 à 15:03
@Bec et ongles : Quels régimes aujourd'hui déficitaires étaient largement excédentaire auparavant ? Mon grand-père qui avait pris sa retraite au début des années 80 m'hésitait pas à souligner que grâce la comptabilité dont il s'occupait dans les hopitaux il pouvait voir déjà à l'époque que les régimes des fonctionnaires était en déficit, et que c'était le régime général du privé qui le comblait.
Rédigé par : jmdesp | jeudi 13 septembre 2007 à 15:40
Le PS risque surtout de se laisser entraîner par la tentation de casser du sucre sur le dos du gouvernement, alors qu'au fond je suis persuadé que personne n'y est véritablement favorable au maintien de tous les régimes spéciaux.
Rédigé par : john.reed | jeudi 13 septembre 2007 à 19:45
John Reed, tout comme le dit Francois X ( ainsi que vous ), pour le PS c'est un affichage de facade, histoire de dire "Vous voyez, nous au moins on s'y est opposé !!!"
Rédigé par : Laglute | jeudi 13 septembre 2007 à 23:01
Je me souviens avoir entendu Louis Gallois expliquer que la banalisation du régime de retraite de la sncf, pourquoi pas, mais qu'il fallait aussi tenir compte du fait que les salaires de la sncf sont en moyenne plus faibles qu'ailleurs.
Moi j'aime beaucoup la gauche moderne adepte du wi n/win (notre bling bling à nous), mais je ne vois pas pourquoi les bénéficiaires actuels de régimes spéciaux (dont je ne suis pas, pour les mauvais esprits) accepteraient du win/lose.
Que cette réforme ait moins l'air d'une recherche désespérée d'économies pour faire plaisir à Bruxelles, elle aura peut-être plus de chances de passer un jour.
Rédigé par : edgar | vendredi 14 septembre 2007 à 10:01
@Edgar : "win/lose". lose je comprends mais qui "win" dans votre histoire. Si c'est tous les Français qui cotisent, c'est pas mal quand même.
Rédigé par : Fin stratège | vendredi 14 septembre 2007 à 10:35
Je pense que la gauche Française a besoin de se libérer de ses tabous un bon coup, cela enverrait un signal fort aux citoyens pour prendre la voie d'un socialisme du réel, un peu plus pragmatique, sans renoncer à la solidarité.
En l'occurence, il s'agit vraiment d'une situation où l'on voit que la solidarité exprimée par certains va à l'encontre d'un bien commun un peu plus large...
C'est très révélateur, et si à l'avenir, le conflit gauche-droite se déplaçait sur jeunes-vieux ?
Rédigé par : Gemini | vendredi 14 septembre 2007 à 11:20
Edgar, les salaires de la Sncf sont plus bas qu'ailleurs ? ah bon ? et plus bas qu'où au fait ?
Rédigé par : François X | vendredi 14 septembre 2007 à 11:32
@ François X : j'ai tendance à faire confiance à Louis Gallois, mais on peut douter de tout.
@fin stratège : on peut aussi décider de taxer les plombiers de 10€ pour le budget de l'état. est-ce juste pour autant ?
@Gemini : socialisme du réel c'est un joli slogan, creux, vide, dans lequel on met ce qu'on veut. en l'occurrence pas grand chose.
Rédigé par : edgar | vendredi 14 septembre 2007 à 12:17
il faut réformer...certainement
mais l'important est dans le comment...
cf mon commentaire chez koz
http://www.koztoujours.fr/?p=464#comments
à propos des régimes "ex-excédentaires",j'ai souvenir du temps où le budget des PTT(et non le régime des fonctionnaires), en large excédent finançait par des prélèvements appellés "compensation" et "surcompensation" les régimes spéciaux déficitaires, comme les agriculteurs...
Rédigé par : francis | vendredi 14 septembre 2007 à 15:33
Mais pourquoi vouloir absolument éloigner l'âge de la retraite quand nous savons pertinement que les patrons qui le réclame à corps et à cri ne sont pas prêt à embaucher qui que ce soit s'il a plus de 40 ans ?
Rédigé par : Akynou | vendredi 14 septembre 2007 à 15:57
Un poil de littérature pour alimenter le débat, compensation et surcompensation qui paye pour qui : http://www.observatoire-retraites.org/observatoire/rubriques/dossiers/Compensation/compensation.htm
Il faut être conscient que certains régimes comme celui des fonctionnaires territoriaux ( CNRACL ) sont en train de basculer de l'autre côté de la barrière, les départs à la retraite massifs de la génération baby boom sont en cours et les effectifs des actifs ne suffisent plus à financer les pensions. La CNRACL qui a durant les 30 dernières années au moins aidé massivement à financer d'autres régimes va devenir déficitaire...
Rédigé par : Eric E | vendredi 14 septembre 2007 à 15:57
1) Des régimes spéciaux déficitaires, mais déficitaires pourquoi? Parce que les cotisations sont trop faibles, à cause de l'évolution démographique, ou bien parce qu'on a réduit les effectifs et la croissance des salaires et augmenté l'efficacité? (donc fait des économies, par ailleurs...)
2) Allonger de 11 ans la période de cotisation d'un fonctionnaire, et de 1 ans celle d' un salarié du privé, ce sont des "ruptures de contrat" qui n'ont pas tout à fait la même ampleur, si?
3) En théorie, il y a tout de même une différence entre des salariés du privé, pour qui les variations de salaire de marché réagissent aux variations des cotisations, et les agents publics pour qui le revenu n'est pas déterminé par un marché. La nature du "contrat" qui est rompu n'est pas la même.
4) L'étatisation et l'uniformisation de la politique des retraites n'est pas anodine. On peut avoir la nostalgie d'une gestion paritaire où les choix collectifs sont pris par secteur ou par profession. Et où les régimes peuvent être à la fois différents et solidaires entre eux.
5) En général, l'allongement de la durée de cotisation n'est pas la seule solution aux problèmes de financement. On peut aussi augmenter les cotisation, diminuer les pensions, réduire le chômage (en particulier des vieux...), inciter l'immigration, voire créer des retraites par capitalisation. Réduire systématiquement, automatiquement l'éventail des choix au nom "d'évidences" techniques ou économiques ne me semble pas très démocratique.
6) Et si, finalement, les cheminots étaient quand même un peu la "base avancée du socialisme" ? Et si, dans un pays désyndicalisé où les droits des salariés sont de plus en plus fragile, les "bastions" avaient une véritable importance stratégique ?
7) Le problème, cher Hugues, avec ces appels répétés au "réalisme", c'est qu'ils se désintéressent souvent de la réalité. Qui est compliquée, comme chacun sait.
Rédigé par : Damien | vendredi 14 septembre 2007 à 18:09
Comme toujours la réference aux chiffres permet d'evacuer l'émotion de tous ces sujets. La Cour des Comptes nous rappelera que le régime général concerne 11 millions de personnes recevant 76 milliards de retraite alors que les régimes spéciaux concernent 3,5 millions de retraités recevant 62 milliards.
Rédigé par : Merlin | lundi 17 septembre 2007 à 15:16
merlin,
je n'ai pas retrouvé ces chiffres qui m'étonnent beaucoup,dans les publications de la cour des comptes...
avez vous la référence?
Rédigé par : faceB | mardi 13 novembre 2007 à 10:01