Le Web est la bande FM du moment. Les dinosaures des médias traverseront-ils ce nouvel orage sans trop de casse ?
Lorsque Rue89 vous ouvre la porte de ses locaux, vous n'êtes pas vraiment dépaysé : l'endroit ressemble à la page d'accueil du site. Une grande pièce un peu bordélique, quelques bureaux Ikea, des jeunes gens en jeans qui téléphonent, pianotent sur leurs claviers ou s’interpellent par-dessus leur écran, un coin salon équipé d’un canapé et d’une table basse... Rien, à vrai dire, ne distingue la rédaction du site d'info des start-ups occupant le reste de cette « pépinière d’entreprises » du vingtième arrondissement. « Mais nous ne sommes pas nous-mêmes une start-up, tient à préciser Laurent Mauriac, ancien correspondant de Libération à New York et co-fondateur. Nous sommes un journal en ligne indépendant, dont le but est de se développer et certainement pas de se revendre au plus offrant dans trois ans ».
On le croit sans peine : remplacez les ordinateurs par un émetteur d’occasion ou le coin salon par une table de mixage à l’ancienne et vous voici transporté 25 ans en arrière, aux grandes heures des « radios libres » et du journalisme alternatif. Bon, l’équipe d’une station FM pirate planquée dans la soupente d’une local militant n’aurait jamais, comme le fait Mauriac, évoqué « le succès d’un premier tour de table », « l’arrivée de business angels » ou l’émergence d’un « nouveau modèle économique », mais pour le reste, aucun doute : Rue89 donne bel et bien le sentiment d’être au départ de quelque chose de « différent », dont les contours précis ne se dessineront qu’à l’usage mais dont la vocation est essentiellement journalistique.
Gratuité totale financée par la pub, adossement à un groupe de presse, production de « contenus » pour des tiers... Toutes les stratégies seront sans doute testées au fil des mois. Mais de cette équipe de défricheurs, attendons-nous au meilleur. Ah, et pour le business pur et dur, allez voir plutôt au fond de la cour : ils font du module de vidéo-chat pour mobile 4G.
Lorsqu’Edwy Plenel vous convie à une réunion de présentation de MediaPart, son futur bébé électronique, c’est la très chic maison de l’Amérique latine qu’il choisit. Il faut dire que, pour les messieurs bien mis et les dames en manteaux de fourrure qui se bousculaient hier soir boulevard Saint-Germain, le septième arrondissement est un endroit bien plus pratique que les abords du périphérique.
L’ancien directeur de la rédaction du Monde, pour autant, ne désavoue pas la démarche de ses confrères de l’Est parisien, à laquelle il se réfère volontiers. Mais l’on ne se refait pas et si l’ombre des radios illégales plane sur les transfuges de Libération, c’est le parfum de la presse « de référence » que l’on hume chez MediaPart. Plenel situe d’ailleurs son initiative dans la perspective d’une critique globale des quotidiens français (« sur-subventionnés, sans lecteurs, trop chers, mal diffusés, inféodés aux pouvoirs économiques et politiques ») et observe avec envie les succès éditoriaux et financiers d’un Guardian maître de son destin. Clairement, il ne lance pas un site Web, il lance un journal, point. Bon, ce journal est en ligne, c’est sûr, mais c’est surtout parce qu’il est plus facile de dénicher les quatre millions d’euros nécessaires à une présence sur le Net que d'en trouver dix fois plus pour un débarquement dans les kiosques. Et d'ailleurs, il ne désespère pas, si les choses marchent bien, de lui donner un petit frère de papier, à MediaPart...
Mais nous n’en sommes pas là et le site qui verra le jour dans quelques semaines doit devenir tout ce que nos quotidiens malades sont accusés par Plenel de ne plus être : un lieu d’intelligence, de réflexion et d’analyse prenant ses distances avec la volonté de « tout dire le plus vite possible ». Pour ce faire, une armée de vieux routiers a été rassemblée ― des Laurent Mauduit, des François Bonnet, des Erich Inciyan, des Sophie Dufau... ― qu’une tripotée de jeunes loups devra accompagner dans leur conversion au « journalisme plurimédia ». En tout, quarante salariés doivent être recrutés d’ici au démarrage effectif, quand Rue89 se débrouille avec une petite douzaine de rédacteurs.
Sur le front des finances, les choses sont encore floues. Mi-gratuit mi-payant, MediaPart est censé parvenir à l’équilibre s’il convainc 65 000 lecteurs de payer entre 5 et 9 euros par mois, un peu moins s’il réussit à obtenir le même taux de TVA que la presse papier (2,1% contre 19,6% sur le Web). On imagine que ce sera dur. Et qu’il ne sera pas évident pour les pointures issues du Monde, habituées au back-office d’un journal de 700 personnes, pas nécessairement familières du maniement d’un caméscope ou d’une interface d’édition Web, de se mettre au régime low cost.
Mais pour toutes leurs différences de façade, branchés du vingtième et bourgeois du boulevard Saint-Germain sont en train de prendre le même chemin : celui qui fait trembler une presse papier anémique et ringardise jusqu'à leur prolongement sur le Web. Que la cellulose soit, à moyen ou long terme, condamnée à l’obsolescence ne fait plus aucun doute ― et les choses iront probablement plus vite en France qu’ailleurs, « crise de l’offre » plenelienne oblige. La question est plutôt de savoir si libe.fr ou lemonde.fr sauront avancer au même rythme que les new kids on the block. L’arrivée des radios libres, il y a un quart de siècle, avait poussé le cartel France Inter-radios périphériques à leur emboîter le pas sur la FM pour, au final, préserver une partie des positions gagnées sur les grandes ondes. Terrifiés à l'idée de cannibaliser leurs ventes en kiosques, les dinosaures ne se montreront peut-être pas aussi habiles ce coup-ci.
© Commentaires & vaticinations
bien vu, mais la question est de savoir si ils prendront vraiment le risque du décalage par rapport à la grégarité ordinaire. C'est-à-dire, ne sont-ils pas déjà perdus, plenel surtout?
Oseraient ils tirer contre des confrères par ex, au risque de se mettre au ban du milieu?
je crois plutot qu'il continueront de s'accomoder avec leurs concurrents en croyants que ce faisant ils oeuvrent pour sauver la presse, alors que c'est le contraire: plus ils s'entre-protegent, plus ils se discreditent.
Rédigé par : Martin P. | vendredi 14 décembre 2007 à 13:37
Tu as l'air (vous avez l'air ?) bien sûr de cette disparition du papier... Je suis peut-être de la vieille école ou pas encore complètement adapté, mais je m'imprègne mieux d'un article lorsque je peux le tenir entre mes mains.
Rédigé par : armel | lundi 17 décembre 2007 à 17:22
A propos de bande FM et de néojournalisme, je vous conseille ceci:
http://www.mediapart.fr/presse-en-debat/pouvoir-et-independance/17122007/net-et-journalisme-enfin-l-heure-du-choc-culturel
C'est écrit pas un membre de Mediapart (le site de Plenel), David Dufresne, vieil internaute également à ce qu'il dit.
Rédigé par : Alain | mardi 18 décembre 2007 à 22:40
A propos de bande FM et de néojournalisme, je vous conseille ceci:
http://www.mediapart.fr/presse-en-debat/pouvoir-et-independance/17122007/net-et-journalisme-enfin-l-heure-du-choc-culturel
C'est écrit pas un membre de Mediapart (le site de Plenel), David Dufresne, vieil internaute également à ce qu'il dit.
Rédigé par : Alain | mardi 18 décembre 2007 à 22:43