« Vous habitez Marseille ? Ça craint pas un peu ? » me demande ce Lillois qui n'a sans doute pas beaucoup voyagé lorsqu'il apprend que c'est là que je me suis délocalisé. « Ah, et le Nord, c'est pas un peu gangrené par l'alcoolisme et l'inceste ? » je réponds sarcastiquement parce que moi, pour le coup, je connais plutôt pas mal la capitale des Flandres et que les appariements père-fille/frère-sœur qui passent leur temps dans les estaminets ne m'ont jamais donné l'impression d'y être plus nombreux qu'ailleurs... N'empêche, l'idée que Marseille soit une ville dangereuse, où il est recommandé de mettre à jour son testament chaque fois qu'on part faire son shopping juste au cas où, est assez largement répandue.
Je ne nie pas qu'il y ait un problème d'usage récurrent de la kalachnikov dans les parages ni même que, d'après les statistiques policières, les Bouches-du-Rhône soient le département champion de France de l'homicide volontaire (55 en 2012) devant Paris et la Seine-Saint-Denis en valeur absolue dixit Le Monde, mais les stats renvoient l'agglomération marseillaise au sixième rang national en proportion du nombre d'habitants. Une sixième place, si c'était de foot qu'il s'agissait, on n'en parlerait même pas...
Et puis les stats, on s'en bat sacrément l’œil lorsqu'on n'habite pas dans un tableau Excel. Dans ma vie de tous les jours, les atteintes à mon intégrité physique ou à mes biens sont aussi rares qu'elles ne l'étaient à Paris, c'est à dire proches de zéro. D'accord, je me balade assez peu dans les quartiers les plus agités, ce qui n'est pas un exploit dans une ville aussi ségréguée, mais le décalage entre cette réputation de Chicago-sur-Mer et la réalité est encore plus frappant qu'un vol de téléphone portable avec violence. Et puis, si l'on m'a déjà piqué un vélo, c'est parce que j'avais oublié de l'attacher ce qui en dit davantage sur ma coupable insouciance que sur l'endémisme de la délinquance.
Le fait est que les Marseillais eux-mêmes, qui n'ont parfois pas voyagé plus souvent que le Lillois sus-cité, aiment se raconter à quel point ils vivent périlleusement et ne sont pas les derniers à en rajouter une couche dès qu'on appuie sur les bons boutons. Ici, tout le monde a au moins une histoire à raconter d'une mamie sauvagement traînée sur plusieurs mètres par un psychopathe en scooter qui en voulait à son sac-à-main mais, grattez un poil, et la mamie en question est généralement celle d'un voisin du collègue d'un autre type qu'on n'a jamais rencontré.
Oh, on lit bien des trucs qui font gamberger dans La Provence, ces braquages de supérettes et de bureaux de tabac qui tournent mal, ces disputes pour une place de parking qui se règlent au cran d'arrêt, ces affaires de cités HLM contrôlées par des caïds où la police n'entre que lorsqu'elle est protégée par la gendarmerie (à moins que ne soit le contraire)... On lit tous ces trucs dans La Provence, mais on lit les mêmes dans Le Parisien, dans Le Progrès de Lyon voire, ben oui, dans La Voix du Nord et, à tout prendre, c'est probablement le portrait de n'importe quelle grande agglomération française en ce début de siècle que l'on peut composer à grands coups de faits divers sordides : des quartiers de classes moyennes où il ne se passe jamais rien ou presque, des quartiers pourris où ça peut effectivement aller assez mal et, généralement, des centre-villes piétonnisés où l'on fait courir plus de risques à son portefeuille en entrant aux Galeries Lafayette ou chez Zara qu'en l'enfournant négligemment dans la poche arrière de son jean.
C'est d'ailleurs presque un peu décevant, ce décalage réel/perçu, comme on dit à la météo. Là par exemple, j'écris une chronique sur le crime et la délinquance et je n'ai même pas une belle et bonne anecdote sanglante à livrer. Ah mais si, j'oubliais, il y a tout de même celle de la mamie traînée sur plusieurs mètres par un voleur à l'arraché. C'était affreux... Ah, vous la connaissez déjà ?
© Commentaires & vaticinations
Les commentaires récents