Marseille est socialement ségréguée jusque dans la mort. Au cimetière Saint-Pierre, les pauvres sont stockés d'un coté, parfois même empilés en hauteur, et la bourgeoisie joliment rangée de l'autre.
A Marseille, je continue à faire des trucs de parigot : je circule à vélo, je sors dans les rues entre 12 et 16:00 quand le soleil est au plus haut et je visite les cimetières. Je ne passais pas exactement ma vie au Père Lachaise tant que j'habitais Ménilmontant, mais il m'arrivait souvent d'en faire un raccourci pour le MK2 de la place Gambetta et d'en profiter pour reluquer les tombes des gens célèbres et les mausolées mégalos des grands bourgeois du 19e siècle.
Je dis que c'est un truc de parigot parce que je n'ai encore jamais entendu personne ici mentionner être un jour allé faire un tour au cimetière Saint-Pierre --le plus grand de la ville et même le troisième de France avec ses 63 hectares-- autrement que pour enterrer une vieille tante.
C'est un tort. C'est plein d'enseignements, un cimetière. Ainsi, celui-ci, idéalement situé derrière la morgue de l'hôpital de la Timone, est un agréable parc urbain plutôt bien entretenu avec autant de sépultures de caractère et de témoignages historiques remarquables, comme on dit dans les brochures touristiques, que son prestigieux cousin de la capitale.
D'accord, au-delà (hé hé !) de ceux d'Henri Verneuil et Gaston Defferre, il ne se trouvera pas beaucoup de pipoles-fantômes pour signer votre cahier d'autographes, mais on y déniche tout de même une belle quantité de curiosités. Commme la sculpture mortuaire de Georges Rao par exemple, un joueur de foot dont je n'avais jamais entendu parler (mais il vrai que je ne connais absolument rien au foot) ou celle de Ray Grassi, un boxeur que je ne connaissais pas non plus (mais je ne pige rien à la boxe).
Le plus intéressant, en fait, dans cette balade, c'est ce qu'elle dit de la manière dont Marseille est une ville ségréguée socialement jusque dans la mort : Saint-Pierre, c'est une métaphore de la ville toute entière. Vous entrez par la porte principale et vous êtes dans les quartiers bourgeois du 8e arrondissement. Les tombes et les petites chapelles néo-gothiques sont en en marbre véritable ou en pierre de taille ; les noms de famille fleurent bon la Provence éternelle et l'immigration italienne qui a réussi dans le bâtiment. C'est très bien fréquenté.
Mais remontez la colline vers la « Pinède » et l'atmosphère se fait carrément flamboyante. Vous êtes, symboliquement s'entend, sur la Corniche, sur les Hauts-de-Périer, au Roucas-Blanc, là où il y a vraiment du pognon et sans doute un poil plus de culture que chez les commerçants de la rue Paradis. Les tombes et les cryptes familiales sont plus chics, prennent mieux le soleil... On s'arrêterait bien pour pique-niquer sur cette belle dalle avec vue imprenable sur le Garlaban, mais on sent bien que le gardien qui fait sa ronde vous enverrait finir votre sandwich au saucisson ailleurs. Sans doute parce que ça défriserait la famille Machin-Truc qui habite là depuis 1879 et à laquelle Marseille doit une savonnerie, ou une compagnie maritime, ou une huilerie, je ne sais plus (mais ça n'a pas réellement d'importance parce que la boîte a vraisemblablement fait faillite il y a 25 ans sous le double effet de l'incurie de patrons archaïques et de la sournoiserie de CGTistes intransigeants dans la plus pure tradition marseillaise).
Pour autant, tout ça n'est encore que de la petite bière (ha ha !) conventionnelle et c'est en redescendant de cette enclave rupine que vous accédez enfin à de l'inédit authentique : c'est ici que se déploie la « cathédrale du silence », une sorte de Sarcelles de la mort dans laquelle on se figure assez mal d'emménager pour l'éternité si l'on est allergique au béton.
Oui, une vraie cité de banlieue pour nos chers disparus. De vrais HLM de plusieurs étages avec ascenseurs, vide-ordures, caves et parkings où l'on empile les cercueils (je dis bien les cercueils, pas les urnes post-crémation) les uns sur les autres, un peu comme on stocke des conteneurs sur le port de Marseille. Enfin, un peu comme l'on stockerait des conteneurs sur le port de Marseille si l'on y stockait encore des conteneurs si vous voyez ce que je veux dire (zut, voilà que je digresse encore).
Mais vient encore, un peu plus loin, un hallucinant cimetière des pauvres, dont l'existence implique, au moins par comparaison, que la cathédrale du silence est plutôt le domaine des classes moyennes inférieures. Un immense champ de patates où sont disséminés, plutôt que répartis ou ordonnés comme ailleurs dans Saint-Pierre, de petits monticules de terre grossièrement tassés à la bêche, parfois surmontés d'une croix de bois ou d'une planche où sont inscrits noms et dates. Certaines tombes sont toutes fraîches, d'autres assez anciennes mais l'on imagine que le renvoi en fosse commune après réduction de corps doit être relativement rapide, les résidants devant être peu nombreux à avoir les moyens de s'offrir un forfait « Perpétuité », l'équivalent mortuaire de la 4G.
A Marseille, donc, je fais encore des trucs de parigot : je fais du vélo et je sors me balader en ville en plein caniard, soit les deux moyens les plus rapides de revenir à Saint-Pierre autrement que pour une simple balade. Si c'est possible, je préférai être installé dans la Pinède avec les grandes familles du Roucas-Blanc parce que ça a l'air plus confortable tout de même. Ou alors au Père Lachaise, entre Jim Morrison et le MK2 Gambetta.
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